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la prépondérance ; tantôt un souverain commun s’élève au-dessus des souverains particuliers, tantôt la forme est républicaine. En tout cas, une confédération implique un organisme central, diète, parlement ou souverain, en qui se concrétise le lien fédéral et qui constitue un pouvoir commun. Quelle forme pourrait prendre une confédération balkanique ? La forme républicaine, suisse ou américaine, est incompatible avec des Etats historiques gouvernés par des souverains héréditaires. Les Etats balkaniques ne sauraient s’unir qu’en conservant leurs souverains respectifs, leur gouvernement intérieur, leur législation particulière ; entre eux, on ne pourrait concevoir qu’une fédération dans laquelle chacun des membres aurait les mêmes droits et déléguerait un certain nombre de députés à une diète fédérale qui siégerait alternativement dans les diverses capitales. Encore voit-on mal comment, en pratique, pourrait fonctionner cette diète. Dans l’Allemagne de 1815, à côté de la Diète, il y avait l’empereur Habsbourg, dont la tradition et l’histoire imposaient l’autorité ; dans l’Allemagne de 1871, il y a le roi de Prusse dont la force a fait un empereur allemand. Dans la Confédération germanique, il n’y avait, à peu d’exceptions près, que des Allemands parlant la même langue, unis par une longue collaboration historique et par la communauté de la « culture. » Dans l’empire austro-hongrois, les races et les langues sont très disparates, mais le loyalisme dynastique est un lien solide éprouvé par l’histoire, sanctionné par des parlemens locaux. Dans la péninsule balkanique, les traditions sont imprégnées de haine et les souvenirs teints de sang. Il n’y a ni communauté de race, ni communauté de culture, ni communauté de langue, ni communauté de religion, et l’on ne voit pas d’où pourrait sortir, parmi les Etats de la péninsule, une Prusse imposant son hégémonie, un Habsbourg incarnant l’unité dans un intérêt commun. Si, dans une organisation fédérale, la Turquie tentait d’exercer une suprématie, si légère fût-elle, ne soulèverait-elle pas contre elle l’hostilité passionnée de tous les États chrétiens ? Et si la tentative venait de l’un de ces États, de la Bulgarie par exemple, croit-on que Turcs et Grecs ne s’insurgeraient pas contre elle avec toute la fureur renouvelée des passions ataviques ?

Pour qui connaît l’intransigeance patriotique, l’orgueil de race, l’exclusivisme de toutes les populations balkaniques, qu’elles soient latines, slaves, turques, albanaises même ; pour