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de recourir à la puissance des armes et de l’argent, ni de combiner les efforts des peuples, des institutions et des partis, ni de se risquer en de périlleuses entreprises. Il suffit que persiste, tant dans l’État que dans les classes intellectuelles, un sentiment profond, sincère et désintéressé de la grande tradition latine.

Si l’histoire de Rome peut remplir cette fonction unique dans la culture européo-américaine, elle le doit à ce qu’elle est une unité complète. Mais, si l’on divise cette unité en chacune des parties et des particules qui la composent, par quoi ces parties et ces particules différeront-elles et comment pourront-elles se distinguer des données analogues qui composent les nombreuses histoires de tant d’autres peuples, histoires plus fragmentaires et plus unilatérales ? En soi et par soi, une inscription latine vaut tout juste autant qu’une inscription grecque ou qu’une inscription phénicienne, un débris de monument romain vaut tout juste autant qu’un pan de mur resté debout à Mycènes ; et peut-être même les reliques de Rome valent-elles moins, puisqu’elles sont plus abondantes et qu’il est relativement facile de les retrouver. Mais ce qu’il y a d’unique dans l’histoire de Rome, c’est le plan sur lequel ces matériaux peuvent se recomposer. Il y a donc un critérium sûr pour apprécier les travaux faits sur l’antiquité romaine, ainsi que leurs tendances, et ce critérium, le voici. En toute histoire, lorsque l’analyse n’est pas une immédiate préparation de la synthèse, elle est une méthode indûment transportée des sciences naturelles à des phénomènes qui ne la comportent pas ; et en outre, dans l’histoire romaine, en particulier, elle est un vandalisme et un sacrilège, elle est la destruction de Rome continuée sur les derniers restes intellectuels de son vaste empire.

En effet, si l’on recherche la raison morale et interne, — abstraction faite, par conséquent, des causes externes et sociales qui d’ailleurs sont nombreuses et importantes, — de la ruine dont sont affligées aujourd’hui les études classiques, ruine qui, vers le milieu du XIXe siècle, a tant nui à la grandeur de Rome dans le monde, on trouvera que cette raison est l’abus de l’analyse devenue à elle-même sa propre fin, aussi bien dans les études littéraires que dans les études historiques. Pour des motifs qu’il serait trop long de déduire, les nouvelles études relatives à l’antiquité, qui, au cours du XVIIIe et du XIXe siècle,