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l’Autriche, se mettre à la merci de l’Allemagne[1]et se préparer un long antagonisme avec la Russie. L’intérêt des deux Empires rivaux est aujourd’hui d’aider le programme « le Balkan aux peuples balkaniques » à devenir une réalité et d’assurer ainsi la pacification et la mise en valeur économique des riches plaines de la Macédoine. L’Autriche recueillera les profits sans avoir couru les risques. Comme le chemin de Byzance pour sa rivale, le chemin de Salonique est, pour elle, un dangereux mirage.

Cette politique nouvelle de la Russie et de l’Autriche dans les Balkans, personne n’en a mieux, ni de plus loin, prévu l’avènement et montré les avantages qu’un homme d’Etat serbe très distingué, héritier des idées du prince Michel et de Garachanine, M. Pirotchanatz, ancien président du Conseil sous le roi Milan. En 1889, il publiait à Paris, sous le pseudonyme de docteur Stefan Bratimich, une brochure[2]d’où, entre autres, nous détachons ces lignes qui donnent la plus haute idée de la perspicacité politique de leur auteur.


Si l’on place un instant en regard, d’un côté les forces que la Russie et l’Autriche, soutenue par ses alliés, peuvent mettre au service de leur cause, et de l’autre les forces qui pourraient leur être opposées, on restera plus que jamais convaincu que la lutte ne conduira à Constantinople ni l’une ni l’autre de ces puissances.

Mais si l’un de ces deux compétiteurs venait subitement à changer de manière de faire ; si surtout, par exemple, la Russie comme puissance slave abandonnait ses idées de conquête et de domination, pour les remplacer par une politique protectrice sincère et par la poursuite réelle de l’indépendance des peuples de la Péninsule, les prétentions austro-hongroises sur l’Orient seraient du coup anéanties. Les intérêts généraux de l’Europe, ainsi que les intérêts nationaux des peuples orientaux, se rangeraient immédiatement de son côté, et le Tsar accomplirait sans peine la mission qu’il doit poursuivre comme chef de tous les Slaves. Il ne tarderait certainement pas à trouver des alliés solides au lieu des adversaires que la politique lui suggère aujourd’hui. — Les Slaves du Sud ne se font pas d’illusions ; ils savent très bien que, sans une Russie forte, ils seraient condamnés à disparaitre devant l’expansion si puissante de la race germanique. Et qui oserait leur faire un reproche, puisque avant tout ils tiennent à leur existence nationale et qu’ils cherchent à la défendre contre tous ?

Ce n’est, d’ailleurs, pas le Cabinet de Pétersbourg seul qui pourrait

  1. Voyez sur ce point nos précédens articles et particulièrement ceux du 15 décembre 1908 et du 15 juin 1909.
  2. Dr Stefan Bratimich, la Péninsule des Balkans. Paris, chez Balitout et Cie 1889 (p. 29).