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Lemonnier, Victor Hugo, Gambetta, le général Türr, Magalhaës Lima, Emile Arnaud, etc., groupe brillant de penseurs, d’écrivains, d’agitateurs dont les idées ont été, en général, plus généreuses que pratiques ; ils ont indiqué, en passant, la solution fédérative comme propre à conduire à un règlement définitif de la question d’Orient, mais ils n’en ont étudié ni les modalités ni les conditions de réalisation. Il faut retenir cependant, comme plus particulièrement intéressantes, les idées du général Türr, confident de Kossuth dont il reflète la pensée[1] ; il préconise la formation de deux confédérations, l’une Danubienne, où la Hongrie pourrait trouver sa place avec les différentes nationalités constituant l’Empire d’Autriche, l’autre Gréco-slavo-turque, qui recevrait le nom de Confédération balkanique. Il est curieux de noter que, sous la plume d’un Magyar, une place est réservée à la Turquie dont le partage n’apparaît pas comme l’article fondamental du projet.

Parmi les professeurs de droit international, l’idée d’une confédération balkanique est très en faveur. Le premier, au temps de la guerre russo-turque, feu le professeur James Lorimer, de l’Université d’Edimbourg, développa une thèse où il proposait la « dénationalisation de Constantinople » qui deviendrait « la propriété commune du genre humain civilisé. » Dans une discussion qu’il soutint à ce sujet avec le professeur Martens, les deux savans se rencontrèrent pour préconiser une alliance anglo-russe, sans laquelle aucune solution pacifique de la question d’Orient ne pourrait jamais devenir possible.

Ces projets d’Union balkanique qui ont vu le jour depuis un siècle, sont si nombreux que nous n’avons pu indiquer ici que les plus significatifs. Tous ces beaux plans sont l’écho, parfois assez naïf, d’intérêts très précis, et cachent des arrière-pensées qu’il n’est pas difficile de pénétrer. Derrière la formule séductrice : « Les Balkans aux peuples balkaniques, » apparaît presque toujours la politique de l’une des grandes puissances que les autres s’empressent de contrecarrer. Aussi, jusqu’à la révolution turque de 1908, ne voyons-nous pas que, malgré les vœux des populations et les efforts de quelques hommes convaincus, l’idée ait fait un pas décisif vers la réalisation. Une solution impliquerait d’abord l’expulsion des Turcs d’Europe et

  1. Solution pacifique de la question d’Orient. Paris, 1877.