Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/811

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Roumélie aident les Bachi-Bouzouks à massacrer les Bulgares insurgés ; le prince Carol favorise le soulèvement bulgare, mais il ne croit pas l’heure venue de chasser les Turcs d’Europe ; avec son grand bon sens politique, il est d’avis que les grandes puissances devraient laisser « les Etats vassaux de la Turquie et les provinces isolées jeter leur gourme. S’ils réussissent à sortir victorieux de la lutte avec leur suzerain, tant mieux ! Sinon, ils ne méritent pas de devenir indépendans[1]. » Le rôle qu’une confédération balkanique aurait pu jouer, ce fut Alexandre II qui le prit. Le résultat de la guerre de 1877-1878 et du Congrès de Berlin fut de mettre la Bosnie et l’Herzégovine dans la dépendance de l’Autriche et de mêler celle-ci plus étroitement aux affaires balkaniques : ainsi l’avait voulu Bismarck. Les petits Etats allaient passer pour longtemps au second plan, la volonté des peuples allait être étouffée et le mot d’Alexandre Ier : « Les convenances de l’Europe sont Je droit, » allait, une fois de plus, s’appliquer avec vérité à la politique orientale.

La tentative conçue par le prince Michel et Garachanine n’en est pas moins intéressante ; c’est la première et la seule fois qu’un projet de ce genre ait été sérieusement étudié, ait fait l’objet de négociations très avancées et ait même abouti à des accords précis. C’est à la lumière des malheurs de toute sorte qui ont accompagné et suivi l’intervention armée de la Russie qu’un tel précédent prend toute sa valeur. La coalition ébauchée en 1868 eût été dirigée à la fois contre la Turquie dont elle se proposait d’affranchir toutes les populations chrétiennes, et contre l’Autriche, dont elle tendait à séparer le groupe des Slaves du Sud. La Hongrie aurait pu y trouver sa place, et les amis de Kossuth avaient déjà entamé des pourparlers pour une entente avec les Roumains. Une telle confédération eût été plutôt danubienne que balkanique ; elle eût constitué, sous l’hégémonie de Belgrade et des Obrenovitch, le grand Etat slave du Sud que les partisans du « Trialisme » rêvent aujourd’hui de créer sous la loi des Habsbourg. Les Bulgares, délivrés du joug ottoman par l’intervention des Serbes, se seraient probablement accommodés de trouver dans l’Etat serbe une vie libre. Ainsi aurait été reconstitué l’Empire de Douchan qui, sans doute, n’aurait pas tardé à se substituer à l’Empire Ottoman. Mais, au

  1. De Witte, ouv. cité, p. 263.