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il aura besoin plus encore que les autres d’une culture commune en laquelle, chez chaque nation civilisée, les élémens supérieurs de la société puissent prendre contact, s’unir, se pénétrer plus profondément et plus intimement que dans la promiscuité momentanée des grands hôtels somptueux, dans les brèves rencontres des congrès ou dans la furieuse manie de voler sur toutes les routes du monde en automobile. Le principe national est trop enraciné dans notre civilisation pour que le monde moderne puisse, du moins dans un avenir prochain, se métamorphoser en une Cosmopolis ; mais il ne peut et ne doit pas non plus devenir une Tour de Babel où toutes les langues se confondent. Aussi lui faut-il, si j’ose dire, une langue idéale commune et des élémens universels de culture qui soient comme autant de ligamens et de jointures entre les différens peuples de l’Europe et de l’Amérique. où les trouver, ces élémens universels ? Rome ancienne peut encore nous en offrir quelques-uns, comme le prouve ce fait indéniable : l’histoire de Rome est, avec celle de la France au XVIIIe siècle et avec celle de la Révolution française, la seule qui soit vraiment universelle et qu’on lise partout.

Dès lors, est-il nécessaire d’employer beaucoup de paroles pour démontrer que les enfans de Rome ont intérêt à ne pas laisser prescrire ce privilège ? Tant que l’histoire, la littérature, le droit de Rome resteront partie intégrante de la haute culture en Europe et en Amérique, nous, peuples latins, nous jouirons, dans le monde, d’une sorte de majorât intellectuel ; nous réussirons à faire que tous les peuples des deux continens demeurent, à certains égards, tributaires de notre culture ; nous prolongerons encore pendant des siècles, dans le domaine des idées, cet Empire romain qui gît par terre. Je n’ignore pas que notre siècle a coutume de convoiter des empires plus solides que ces domaines de l’invisible, qui ne peuvent ni se mesurer, ni se partager, ni s’amplifier, ni s’échanger. Mais si, dans la civilisation moderne, la haute culture n’est pas destinée à devenir l’humble servante de la finance et de l’industrie, jamais cet invisible et impalpable empire ne pourra, lui non plus, être abandonné sans dommage et sans honte par les peuples qui l’ont reçu de leurs pères en héritage ; d’autant plus que, — et c’est là une considération à laquelle l’esprit pratique des temps modernes devrait ne pas être insensible, — il n’est pas besoin, pour le conserver,