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d’Etat Ilia Garachanine avait, dès 1844, développé un programme dans lequel il exposait la nécessité, pour le royaume serbe, de s’unir étroitement à tous les autres pays slaves du Balkan. Il croyait que l’Empire turc ne pourrait manquer d’être, à bref délai, ou partagé ou remplacé. S’il y avait partage, il se ferait au profit de la Russie et de l’Autriche ; une ligne tracée de Viddin, sur le Danube, à Salonique, sur la mer Egée, marquerait à peu près la limite de la part que s’attribuerait chacun des deux grands empires. Les petits peuples chrétiens seraient sacrifiés : les Serbes seraient absorbés par l’Autriche tandis que la Russie engloberait les Bulgares et occuperait Constantinople. Si au contraire l’Empire Ottoman, au lieu d’être partagé, pouvait être remplacé par un Etat plus jeune, plus capable d’opposer une résistance aux ambitions européennes, le péril d’une absorption dans la monarchie des Habsbourg pourrait être évité. Seule une confédération balkanique pourrait se substituer à l’Empire Ottoman ; il lui faudrait, pour se constituer, vaincre l’opposition de la Russie, qui verrait se fermer le chemin de Constantinople, et de l’Autriche, qui serait exclue des Balkans et qui redouterait l’attraction des Slaves de la péninsule sur leurs frères de Croatie ou de Dalmatie. La nation serbe pourrait devenir le noyau central d’une telle confédération ; elle reprendrait ainsi, après cinq siècles, l’œuvre de Douchan interrompue à Kossovo.

Garachanine trouva en Michel Obrenovitch, qui régna sur la Serbie de 1860 à 1868, un prince qui partageait ses vues et qui, avec lui, chercha à les réaliser. Dès 1859, à Londres, le prince Michel s’était entretenu de ses projets avec Kossuth exilé. La crainte de la Russie et la haine de l’Autriche avaient rapproché le prince serbe et le patriote magyar : la cause de la confédération balkanique et celle de l’indépendance hongroise leur parurent étroitement solidaires. « C’est un fait indéniable, disait Kossuth, que l’unique rempart contre l’invasion de l’Autriche et de la Russie, et certainement le plus efficace, consisterait en une série de pays libres et en une alliance défensive entre la Hongrie, la Croatie, la Serbie et la Moldo-Valachie indépendantes ; par-là serait garantie la sécurité de l’Europe contre toute tentative de conquête venant de l’Est. Je ne crois pas que, sans une telle confédération et sans une reconstitution de la Pologne, il soit possible, pour l’Europe telle qu’elle est