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dans le cosmopolitisme. On y voit comment un régime autoritaire s’embarrasse peu à peu lui-même dans un système juridique très compliqué ; on y remarque plusieurs grandes révolutions et plusieurs grandes réactions, d’innombrables répercussions de la politique intérieure sur l’extérieure et réciproquement ; on y peut étudier à merveille ce qui, sans doute, est le plus mystérieux et le plus inquiétant de tous les phénomènes historiques, la violente répulsion morale que, surtout à leurs débuts, suscitent les civilisations qui, plus tard, mûries ou mortes, sont admirées comme les chefs-d’œuvre des grands peuples ; on y observe enfin une religion politique qui est détruite par une haute culture littéraire et philosophique, et une nouvelle religion mystique qui se forme des détritus de cette même culture. Je n’aurais pas terminé de sitôt, si je devais énumérer tous les élémens de l’histoire universelle que cette histoire de Rome nous présente rassemblés comme dans une synthèse et, pour plus de commodité, groupés autour d’un centre qui est Rome même, centre qui manque à l’histoire très éparpillée de la Grèce, et d’où il est si facile d’embrasser dans son ensemble l’immense panorama. C’est par là que l’histoire de Rome est complète et synthétique ; c’est pour cela qu’en elle toutes les époques peuvent retrouver quelque chose d’elles-mêmes et se regarder comme dans un miroir.

Il est notoire, en effet, que, surtout pendant les trois derniers siècles, après que de nouveaux et puissans Etats eurent commencé à se reconstruire sur l’émiettement politique du moyen âge, Rome, son histoire, sa littérature, sa législation furent comme un modèle, un schéma, ou, si l’on veut, un mirage historique projeté par le passé devant les générations qui cherchaient la voie de l’avenir ; et c’est en tâchant de se rapprocher de ce modèle que ces générations réussirent à trouver cette voie qu’elles avaient en vain cherchée si longtemps. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, Rome est l’exemple qu’ont sous les yeux toutes les grandes monarchies qui se fondent en Europe ; au XVIIIe et au XIXe siècle, Rome, par l’histoire de la République, par le culte fervent de Brutus, par le roman scandaleux des Julii Claudii, roman que nous ont transmis Suétone et Tacite, fomente l’opposition contre la monarchie absolue ; après la Révolution française, Rome encore fournit à la monarchie, comme argument et comme moyen de persuasion, les apologies césariennes