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marche sur Paris ; toutes les places de la Picardie et du Nord de la France n’attendent qu’un signal pour se rallier à la nation et à la dynastie.

Bedford, si froid et qui se domine, d’ordinaire, est ému par ces événemens étranges où il ne peut s’empêcher de reconnaître, lui aussi, la « main de Dieu. » Il écrit à son neveu, le jeune roi Henri VI : « Toute chose a prospéré pour vous jusqu’au temps du siège d’Orléans, entrepris Dieu sait par quel conseil. Auquel temps, après l’aventure arrivée à la personne de mon cousin Salisbury que Dieu absolve ! (frappé par un boulet, et mort devant Orléans, 1429), arriva, par la main de Dieu, comme il semble, un grand méchef sur vos gens qui étaient rassemblés là en grand nombre : lequel provint en grande partie, comme je pense, par enlacement de fausses croyances et folles craintes qu’ils ont eues d’un disciple et limier du Diable, appelé la Pucelle, qui a usé de faux enchantemens et sorcelleries ; lesquels méchef et déconfiture, non seulement ont diminué d’une grande partie le nombre de vos gens, mais aussi ont ôté le courage du restant d’une façon merveilleuse et ont encouragé vos adversaires et ennemis à s’assembler incontinent en grand nombre… » (Procès, V, 137.)

Telle est la situation, décrite de main de maître et de la main du maître, aux environs du mois d’août, au moment où, à Reims, la première partie de sa mission achevée, Jeanne se prépare à ce qu’elle considère comme l’achèvement de sa tâche, l’expulsion des Anglais hors du royaume.

Quittant Reims, elle vient, avec Charles VII, à Saint-Marcoul de Corbeny ; elle suit la rive droite de l’Aisne, passe à Vailly où le Roi reçoit les clefs de la bonne ville de Laon, qui ouvrent également les places du Nord. On se met en route, par Soissons et par les villes du Valois et de l’Ile-de-France, vers Paris. L’armée est pleine d’entrain ; le pays est soulevé. Partout on escompte le succès, on l’affirme, on le célèbre. Les Anglais évacuent Paris, ayant renoncé à le défendre. Les partisans du roi légitime prennent courage, et sont prêts à ouvrir les portes. Que le Roi s’approche : il trouvera la ville soumise ; le royaume sera reconstitué !

Soudain, l’élan qui paraissait unanime est brisé. La campagne commencée est interrompue, abandonnée. La Pucelle se sent tenue à l’écart, exclue des conseils, suspecte. Elle cherche, interroge ; on se tait.