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ception du gouvernement parlementaire n’est pas celle de nos voisins : la leur est plus sérieuse et plus stable. Une majorité, même réduite à 6 voix, leur suffit pour gouverner, tant ils savent pouvoir compter sur la fidélité de leurs amis. Dans ces derniers temps, toutefois, le parti catholique avait eu à traverser des épreuves difficiles ; les questions militaires l’avaient divisé et des coalitions provisoires s’étaient formées entre une fraction de la droite et une fraction de la gauche ; on pouvait se demander s’il n’en résulterait pas un ébranlement dans la rigidité des vieux cadres, et c’est peut-être sur cette éventualité que les libéraux comptaient. Qu’on songe à la durée du gouvernement catholique : il est au pouvoir depuis vingt-six ans, ce qui ne s’est peut-être jamais vu pour aucun parti dans aucun gouvernement parlementaire. À chaque élection partielle, la majorité catholique perdait, comme elle vient de le faire encore, quelques-uns de ses membres ; mais si le bloc continuait de s’effriter, il continuait aussi de dresser sa masse inébranlable, à l’encontre du bloc libéral qui grossissait trop lentement. Cette fois pourtant, les libéraux avaient un meilleur espoir. Il est devenu inutile, aujourd’hui que le scrutin a prononcé, de dire sur quels points ils croyaient remporter des victoires qui ne se sont pas produites. Ces victoires n’étaient pas bien nombreuses, mais elles auraient suffi pour les ramener aux affaires, et peut-être, à leur tour, y seraient-ils restés longtemps. Libéraux et socialistes comptent dans leurs rangs des hommes de mérite, des orateurs distingués, des politiciens habiles, et c’est assurément un sort pénible pour eux, pénible comme celui de Tantale, de voir le flot électoral se rapprocher toujours davantage sans les atteindre jamais. Cela dure depuis plus d’un quart de siècle, la durée d’une génération politique qui passe, non pas inutile sans doute, ni tout à fait impuissante, mais qui ne peut cependant ni donner sa mesure, ni réaliser une partie notable de son programme. En France, autrefois, des partis constitutionnels sont devenus révolutionnaires pour moins que cela : on l’a bien vu le 24 février 1848. Les Belges sont plus respectueux de la Constitution et des lois, et ils savent attendre.

M. Charles Benoist, qui est allé en Belgique pour y voir fonctionner la représentation proportionnelle, a fait part à un journal de ses observations et réflexions. Il a trouvé des libéraux assez enclins à accuser le système électoral qui ne les avait pas préservés de la défaite, mais sa conclusion, à lui, a été très différente. « La pauvre R. P., dit-il, n’en peut mais de la déconvenue des libéraux. Et le suffrage majoritaire n’y eût rien fait : ou plutôt, il eût fait bien pis…