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A mesure que refleurit l’Orient et que l’Occident se développe, à mesure que grandissent partout la prospérité, le nombre, le pouvoir des classes moyennes et des aristocraties provinciales, l’immense Empire prend la forme, non plus d’un robuste organe de domination politique et militaire, tel que l’était la vieille République romaine, mais d’un de ces Etats, organes d’une civilisation urbaine très raffinée, que l’Hellénisme avait produits en Orient. Gréé par une dure et puritaine aristocratie, par une aristocratie strictement nationale de diplomates et de guerriers, cet Empire tombe au pouvoir d’une aristocratie et d’une bureaucratie cosmopolites, pacifistes, lettrées, philosophantes, dont l’amalgame est formé dans tout l’Empire, non plus par une réelle ou imaginaire communauté d’origine, de traditions et d’histoire, mais par une brillante, quoique superficielle culture littéraire et philosophique, et par la religion politique de l’Empire et de l’Empereur. La force de cohésion qui relie intérieurement la masse énorme de l’Empire, ce n’est plus seulement les armes et les lois, c’est surtout la civilisation urbaine, laquelle dérive de l’Orient hellénisé. De même que l’Empereur à Rome, les familles riches, dans toutes les provinces, dépensent, à l’instar de l’Empereur, une partie de leurs biens pour embellir les cités, pour augmenter les gains, le confort et les plaisirs du menu peuple ; elles bâtissent des palais, des villas, des théâtres, des temples, des thermes, des aqueducs ; elles font des largesses de blé, d’huile, de divertissemens, d’argent ; elles dotent des services publics ou réalisent des fondations charitables. L’Empire se couvre de villes grandes et petites, qui rivalisent entre elles de splendeur et de beauté ; et dans ces villes viennent s’installer les populations pauvres des campagnes, les artisans, les paysans enrichis ; et dans plusieurs d’entre elles s’ouvrent des écoles où les jeunes gens de la classe moyenne, en apprenant l’éloquence, la littérature, la philosophie et le droit, se préparent aux fonctions bureaucratiques qui, de génération en génération, croissent et se ramifient. C’est cette bureaucratie lettrée et philosophante qui introduit dans le droit romain, originairement empirique, l’esprit philosophique et systématique, qui introduit dans l’administration, originairement autoritaire, l’esprit juridique. Et c’est ainsi que, durant le second siècle, l’Empire étale au soleil de la paix romaine, qui illumine le monde, ses innombrables cités toutes resplendissantes de marbres.