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où l’on chante le voile. Piquans par le tour, la modulation et la cadence finale, sont les couplets d’Hélène jurant de ne point céder à Télémaque « sous le voile de sa mère, » de sa mère à lui, bien entendu. Le duo d’Ulysse et de Pénélope, où se discute, puis se décide l’envoi du cadeau symbolique et flatteur à la divine Hélène, est fort agréable, avec d’amusantes cascades sur certains mots, plaisamment effarouchés, de Pénélope.

Oui, le voile est bien le leitmotiv et de la comédie et de la partition. La reine vient à peine d’en consentir l’abandon, que déjà le chœur s’étonne, s’émeut, s’indigne presque, dans le couplet que voici :


Quoi ? le voile ?
Comment ! le voile !
Elle abandonne le voile,
Elle peut se séparer du voile,
De son voile !
Du fameux voile ! !
Enfin du voile ! ! !


Nous avons dit couplet. Mais c’est au moins une strophe, pour l’abondance et l’ordonnance aussi de la période. Et comme elle est, avec l’accroissement, puis le resserrement, vers par vers, du nombre des syllabes ou des pieds, comme elle est spirituellement disposée pour la musique ! Comme elle y prête, ou s’y prête ! Gageons que l’illustre et regretté Gevaert aurait su nous montrer là quelque réjouissante imitation de la métrique grecque. Sérieusement, deux purs lettrés (j’entends : qui ne sont que lettrés) écrivant pour la première fois, sauf erreur, des vers destinés à la musique, les ont faits les plus « musicables » du monde. Et le musicien ne les a pas laissé perdre. A l’exemple d’Offenbach, de l’Offenbach de la Grande-Duchesse, il a mis en valeur, en vedette et comme dans la pleine lumière sonore, le mot qui devait en effet la recevoir. Là-bas : « le sabre ; » ici : « le voile. » Au lieu de l’effet héroïque, un effet gracieux. Et, les deux objets différant, la musique non plus n’est pas la même. Pointée, un peu dure et comme rigide quand elle présentait ou brandissait « le sabre, » souple au contraire et comme arrondie, elle joue avec « le voile, » elle le déploie et le fait flotter au vent.

Mais le triomphe, musical et poétique, du voile, c’est la fin de la scène, tout entière excellente, de la remise des présens. Nombreux et variés sont les cadeaux offerts par Ulysse et par Télémaque à leurs hôtes, et de chacun la musique souligne, commente la nature et la qualité. « Douze porcs de l’année, à la chair délectable, » sont l’objet