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rouvre les innombrables ateliers de ses industrieux artisans et les boutiques affairées de ses mercantis ; il remet en circulation sur les routes du monde amplifié par l’épée de Rome ses anciens négoces. Ainsi rajeunissent les antiques civilisations orientales, l’Egypte, la Syrie, l’Asie Mineure, à l’exemple et au contact des jeunes barbaries occidentales. Entre les unes et les autres est placée l’Italie, en excellente situation pour dominer cet Empire circumméditerranéen, où l’Occident neuf fait équilibre à l’Orient lourd d’histoire, où la Gaule neuve, admirablement développée dès le siècle qui suit la conquête, fait contrepoids à la vieille Egypte reflorissante. Pour la première, et malheureusement pour la seule fois qu’on a vu cela dans l’histoire, la Méditerranée s’ouvre comme une tranquille place de commerce où, sous la forte surveillance de Rome, se donnent rendez-vous, s’abouchent et trafiquent, désormais sans turbulences, l’Europe, l’Afrique et l’Asie. De cette paix facile naissent dans toutes les régions de l’Empire, en Gaule comme en Asie Mineure, en Espagne comme en Afrique septentrionale, de nouvelles et prospères classes moyennes, de nouvelles aristocraties provinciales, familles enrichies de frais, qui, comme c’est le lot de l’époque, n’ont pas ombre d’esprit militaire et politique, mais sont surtout avides de jouir des raffinemens de la civilisation urbaine ; tandis qu’à Rome les derniers débris de l’aristocratie romaine, de cette aristocratie qui, par tradition, était politiquante et belliqueuse, finissent de s’éteindre. Avec la classe qui, seule, possédait encore cette qualité, l’esprit politique et militaire s’éteint dans tout l’Empire ; et alors une famille, qui s’en défend en vain et qui semble avoir peur de sa propre fortune, est obligée, malgré elle, d’assumer tous les privilèges et toutes les responsabilités du pouvoir suprême, responsabilités patagées pendant tant de siècles entre tant de familles. Jamais on ne comprendra rien à l’histoire de Rome si on ne comprend pas que la famille Julia Claudia fut obligée d’assumer et d’exercer malgré elle un pouvoir qui, insensiblement, devint monarchique, de la même manière que la noblesse romaine avait été obligée de fonder malgré elle l’Empire dont elle avait peur. Bien plus, c’est en cette contradiction que se résume ce que l’on pourrait appeler l’essence philosophique de l’histoire romaine, puisque Rome périt par sa victoire même, puisqu’elle s’anéantit dans l’Empire qu’elle a fondé.