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s’appliqua de son mieux à distraire Télémaque. Elle le faisait asseoir à table auprès d’elle et quand elle filait la laine pourprée, elle le priait de l’aider à dévider son fuseau. Et elle lui racontait avec agrément les épisodes intéressans du siège de Troie, sans oublier les héros, se taisant toutefois sur Paris. Un soir, on apprit que les souverains de Phéacie arriveraient le lendemain, avec leur fille. « Enfin ! » dit la bonne Hélène. Mais Télémaque s’écria : « Déjà ! » Car il avait subi le charme dévorateur de la fille de Léda. Quand Nausicaa parut, il ne lui montra que de l’indifférence, et l’autre amour de plus en plus l’égara. Toujours bonne, et soucieuse uniquement, après les agitations de sa vie passée, de travailler au bonheur paisible de deux enfans, Hélène essayait, mais en vain, de détourner Télémaque d’elle-même. Pour y réussir, elle employa la ruse. Après s’être concertée avec Nausicaa, elle feignit de céder enfin au fils d’Ulysse et lui donna la permission de l’enlever. Mais le soir, sur la grève, à sa place et voilée, elle envoya la fille d’Alkinoos. Un orage ayant retardé l’embarquement, l’impatient Télémaque souleva le voile et reconnut, à la lueur d’un éclair, la vierge par lui méprisée. Il en éprouva d’abord une très vive, et même injurieuse et brutale colère. Mais bientôt il se radoucit. Pour la première fois il s’avisa que Nausicaa, moins belle peut-être qu’Hélène, était sûrement plus fraîche et tout à fait charmante. Alors il s’émut en son cœur, et sur les flots, apaisés comme lui, en compagnie de son père, de ses beaux-parens, de Ménélas et de la bonne Hélène elle-même, il emmena sa fiancée vers Ithaque.

Agréable en soi, le sujet est traité d’une manière exquise, où, sous l’ironie légère, se trahit partout, à l’égard des êtres et des choses de la poésie hellénique, beaucoup moins d’irrévérence que de tendresse. Nous sommes ici très loin, — au-dessus ou au-dessous, selon le point de vue, — de la bouffonnerie et de la caricature qui font plus éclatante et moins pieuse la beauté de la Belle Hélène. C’est à peine, et seulement pour mémoire, ou par point d’honneur, que MM. Lemaître et Donnay recourent aux moyens classiques de la parodie : l’anachronisme, la transposition brusque des idées ou des mots, le calembour ou le coq-à-l’âne. Lorsque Ménélas, invitant Ulysse à souper, ajoute avec courtoisie : « Tu fourniras le sel attique, » la tentation était irrésistible pour ces messieurs de faire répondre, et rectifier, par Ulysse : « Non pas attique, mais ithaque. » Aussi n’ont-ils pas résisté, et cela nous a valu d’ailleurs un ensemble vocal, une espèce de fou rire en musique, auquel nous n’avons pas résisté non plus. Au dernier tableau, tandis que Pénélope attend le retour de son époux, — encore ! — et de