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la dernière. Et puis elle ne suffit pas, elle n’est point assez expiatoire. Avant la chute du rideau, pendant que se prolongeait le hideux et sacrilège « tête-à-tête, » un chant s’élevait en nous : le respectueux, le tendre, le sublime choral de Bach : « O Haupt voll Blut und Wunden, Ô tête pleine de sang et de plaies ! » Il a beau s’adresser non pas à Jean, mais à Jésus, nous avions le sentiment que pour une heure le maître en cédait l’hommage à son serviteur et que la pieuse oraison venait offrir à la dépouille sainte et profanée les excuses de la musique elle-même.


La fille de Jupiter et de Léda comptera certainement parmi les personnes que M. Jules Lemaître aura le plus aimées. Dans un article déjà lointain mais toujours exquis sur la Belle Hélène, il avait déjà montré pour elle une affectueuse indulgence. Sa Bonne Hélène à lui, de délicieuse mémoire, marquait plus de faiblesse encore. Voici qu’avec M. Maurice Donnay son compère, il comble la mesure. Non, je me trompe, il ne l’a pas comblée, et le tact, le goût, l’esprit, tempéré de respect et d’amour, font justement, comme on pouvait s’y attendre, le rare agrément de la comédie lyrique où viennent de débuter, je crois, comme librettistes, l’un et l’autre académiciens.

Suite aimable, plutôt que nécessaire, des conférences sur Fénelon, le Mariage de Télémaque est surtout le développement scénique d’un conte plus ancien et de même titre, écrit par M. Jules Lemaître « en marge » de l’Odyssée. En voici l’argument, résumé dans le langage, à peu près, de l’auteur.

Télémaque venait d’atteindre sa vingtième année. Ses parens songeaient à le marier. Dans le pays, ce n’était pas facile. Les petites princesses des environs, dont Ulysse avait tué à coups de flèches les pères, les frères ou les cousins, montraient peu d’empressement à entrer dans la famille. Ulysse alors se souvint de Nausicaa, la fille d’Alkinoos, roi des Phéaciens. Et Télémaque ne demanda pas mieux que d’en croire les souvenirs paternels. Or, le même jour, des envoyés du roi Ménélas débarquèrent dans le port d’Ithaque. Ils venaient justement, de la part de Ménélas et d’Hélène, inviter le jeune Télémaque à se rendre pour quelques jours à la cour de Sparte, afin d’y rencontrer Nausicaa et de lui plaire. Télémaque les suivit le soir même et son père ne put se tenir de l’accompagner.

L’un et l’autre furent reçus très cordialement par l’Atride et par la divine Hélène. Mais Nausicaa et ses parens tardèrent quelques jours, à cause d’une avarie survenue à leur navire. Hélène, toujours bonne,