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elle-même, doit devenir la peinture de portraits de corporation. Vous êtes orfèvre, monsieur Josse.

Et Gobelousse est Marseillais. Étant Marseillais, il a l’accent que vous savez. L’aviez-vous oublié ? Gobelousse y pense tout le temps et il s’en vante. Cela nous vaut une tirade sur l’accent. Elle est très bien venue, cette tirade, et contient toute sorte de choses touchantes, amusantes ou gracieuses. L’accent, c’est la saveur du terroir, le legs du passé, le signe de ralliement. Il résume en lui le ciel et le sol, la qualité de l’atmosphère, le parfum des prés et des coteaux. Et il évêque des voix, toutes ces voix anciennes où il a chanté jadis si gaiement et qui se sont tues. Donc, aimez votre accent ! Gardez votre accent ! Accentuez votre accent ! C’est ce que M. Maurice Barrès a dit maintes fois, et en termes éloquens, pour l’accent lorrain. Mais il est vrai que cet accent-là se remarque moins que celui de la Canebière. Dans sa forme non plus, cette tirade n’est pas très originale. C’est la coupe, le mouvement, la sonorité de certaines tirades fameuses de M. Rostand. Telle qu’elle est, elle a fait plaisir. On la citera. Elle est, sans aucun doute possible, déjà en route vers les anthologies.

La tirade fleurit et s’épanouit, dans cette pièce à fleurs, comme une fleur elle-même exubérante. Cela fait beaucoup de tirades. Et les tirades n’ont pas coutume de faire beaucoup avancer les pièces. Mais, patience ! La pièce, malgré tout, va finir par commencer. Tous les personnages du premier acte, ceux du moins qui ne sont pas morts, vont se retrouver à Harlem. Gilbert n’est pas devenu plus gai en voyageant. Or il paraît que dès le XVIIe siècle nous avions dans le monde entier la réputation d’être autant de Gaudissarts. Dans Harlem un Français triste fait révolution comme un paradoxe ambulant. On se met aux fenêtres pour le voir passer. On s’attroupe dans les rues. On parie qu’on entendra sortir de sa bouche trois mots en une heure. C’est devenu un petit jeu, une amusette pour jeunes filles. Ainsi Griet Amstel engage la conversation, si l’on peut appeler conversation un dialogue avec demandes et sans réponses. D’ailleurs, cette grande tristesse causée par un chagrin d’amour est bonne pour intéresser les jeunes filles. Et Gilbert qui, si vous voulez mon avis, commence à être un peu las de son rôle et à s’ennuyer lui-même, remarque sans en avoir l’air l’espièglerie de Griet Amstel. Qu’arrivera-t-il de tout cela ? Sur ces entrefaites, le bonhomme Amstel, qui est un des plus enragés tulipiers de Harlem, apprend qu’au dernier concours, il vient d’être battu par son compère Jacob Teilingen. Furieux, et d’ailleurs ivre, il jure de donner sa fille en