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où le luxe fait de rapides progrès, et avec le luxe les dettes, et avec les dettes la culture hellénique et orientale ; tandis que, parmi la trouble et incessante agitation de cet âge, grandit et poursuit son chemin l’homme fatal, César, lequel franchit enfin les Alpes et se jette sur la Gaule hérissée de périls et d’armes, pour y chercher gloire et trésors. L’État tombe au pouvoir de partis déprédateurs, audacieux, énergiques, sans scrupules, mais mobiles comme les intérêts qu’ils servent et dont ils se servent ; et ces partis, par leurs continuelles virevoltes et par leurs menées inquiètes, corrodent dans l’État vieilli ce peu de discipline que Sylla y avait rétabli à grand’peine.

Après trente et quelques années d’une paix intérieure telle quelle, à peu près tolérable et laborieusement maintenue, recommence une guerre civile, ou, pour mieux dire, une effroyable tourmente qui balaie d’abord les débris de la constitution de Sylla, puis la dictature de César, puis le Sénat et ce qui survit de l’aristocratie romaine, puis le triumvirat révolutionnaire, comme aussi divers États, grands et petits, aux confins de l’Empire et la royauté des Ptolémées. Que reste-t-il encore debout ? De toutes parts les ruines s’accumulent ; les hommes se demandent si Rome est la plus auguste ou la plus misérable des nations. L’un des esprits les plus lucides que Rome ait eus, mûri au milieu de ces vicissitudes, croit discerner partout une décadence qui précipite toutes choses de mal en pis :


Ætas parentum, pejor avis, tulit
Nos nequiores, mox laturos
Prolem vitiosiorem.


Et c’est au contraire le premier pas vers l’apogée. Après cette suprême épreuve, la culture gréco-orientale, qui avait désagrégé l’ancienne société italique, se convertit en une force de recomposition sociale ; étant donné la situation nouvelle qu’a créée dans le bassin méditerranéen la conquête romaine, elle y rétablit peu à peu un nouvel équilibre d’intérêts, d’aspirations, d’idées, de sentimens. Grâce à la paix, l’Occident barbare apprend de Rome à cultiver les terres, à exploiter les bois, à creuser les mines, à naviguer sur les fleuves, à parler et à écrire tant bien que mal le latin ; il se civilise, il achète les produits manufacturés dans les vieilles villes de l’Orient. À mesure que les nouveaux marchés de l’Occident lui offrent des débouchés, l’Orient