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des victoires et d’une haute réputation de sagesse, par la petite aristocratie de Rome qui désormais règne sur la péninsule : aristocratie héréditaire, mais non exclusive ; puritaine et dévote ; avare et rude ; préoccupée seulement d’avoir entre les mains les instrumens les plus efficaces de la domination, propriété foncière, droit, diplomatie, religion, gouvernement et milice ; indifférente ou défiante à l’égard de tout le reste, de la philosophie comme de l’art, de la culture grecque comme des cultes asiatiques, du luxe comme de la jouissance ; résolue à s’enfermer avec toutes les races italiques, qui la vénèrent comme un Olympe de demi-dieux, dans la religion ancienne et dans les traditions ancestrales, à se confiner dans les limites de cette Italie qu’elle a conquise par un si âpre labeur, et, dans ces limites, à lutter désespérément contre le destin qui, malgré elle et en dépit de sa résistance, la pousse à l’empire du monde.

Vains efforts ; car, à partir de la seconde guerre punique, le juste équilibre de l’ancienne société s’altère sous l’action des deux plus formidables puissances révolutionnaires qui, en tous les temps, modifient la face du monde : les nouveaux besoins et les nouvelles idées. Après que l’Empire s’est élargi au delà des mers, que les richesses se sont accrues, que les contacts se sont multipliés avec la civilisation raffinée de l’Orient hellénisé, dans tous les ordres sociaux grandissent des générations avides de lucres faciles, aspirant à une existence plus large et plus agréable, désirant une culture plus grande, et qui sont plus indociles. Beaucoup d’anciennes fortunes sombrent dans le courant de la prodigalité nouvelle, beaucoup de fortunes neuves en émergent. L’aristocratie s’appauvrit, ou se déprave, ou, dégoûtée, s’isole dans le regret du bon temps d’autrefois, ou encore se jette dans l’exotisme. Et ainsi se brisent la concorde, l’unité, la vigueur du corps social ; ainsi se lézardent les fondemens mêmes de l’Etat.

Partout, dans la religion, dans la famille, dans la république, l’ancienne discipline fléchit. L’ordre des chevaliers, fortifié par de récens succès, les classes moyennes, agitées par de nouvelles ambitions et aigries par la pauvreté, se révoltent contre la noblesse respectée depuis tant de siècles ; les intérêts, que ne contient plus la puissance d’une classe sûre de sa domination, engagent entre eux une lutte féroce au sein de l’État qui en souffre de nouveaux dommages ; peu à peu l’or corrompt tout ; et ce que l’or n’a pas le pouvoir de corrompre, il y a, pour le