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Les grandes compositions historiques se passent plus aisément de ces savantes exégèses. Et il ne paraît pas qu’on puisse discuter beaucoup dans l’avenir sur le sujet des deux principales qu’on admire aux Champs-Elysées : Les Funérailles du général Damrémont et la Prise de Yorktown, mais on pourra longuement discuter leur attribution. Pour peu qu’on ait conservé le souvenir des faits qu’elles retracent, leurs sujets s’identifient tout seuls.

L’immense tableau exposé par M. Détaille (salle 17, n° 647) représente le service funèbre du général Damrémont commandant en chef de l’armée d’Afrique, qui fut tué à la veille de l’assaut de Constantine, coupé par un boulet tandis qu’il causait avec le duc de Nemours. Nous sommes au lendemain de l’assaut, le 18 octobre 1837. La ville est prise. C’est l’instant de l’élévation. Sur un monticule fait de sacs de terre, au-dessus d’un autel fait de tambours, sous une grande croix faite de madriers attachés à la hâte, le prêtre, sans chasuble, sans surplis, sans manipule, engoncé dans sa soutane noire devenue grise d’usure et de poussière, élève l’hostie. Il l’élève de tous ses bras dans le ciel musulman qu’il annexe au Christianisme. Les canons tonnent, les tambours battent, les drapeaux s’abaissent, les zouaves mettent genou en terre, portant la main à leurs turbans verts, sous la haie pointue des baïonnettes, saluant le Dieu des vainqueurs. Un nuage blanc flotte produit par la poudre, cet encens des batailles. Au-delà, derrière tout ce monde, étagées comme des spectateurs fantômes sur l’espèce de moraine de décombres, de pierrailles, de terres glissées, qui s’écoulent de la brèche faite aux remparts de Constantine, les formes blanches des Arabes impassibles, enveloppés de burnous, de silence, de fatalisme. Au-dessus d’eux enfin, montant bien haut dans le ciel, les maisons de la ville prise, la caserne des Janissaires, et ce minaret blanc d’où pleuvaient sur nos soldats, hier encore, les feux d’un double étage de combattans, éteint maintenant, semblable à une cheminée d’usine. Et, à mi-chemin, entre la croix proche et le minaret lointain, planté dans la terre de Constantine, le drapeau tricolore qui n’en sera plus arraché.

Ce n’est point, là, une mise en scène imaginée par le peintre, un jeu d’antithèses choisies. Les choses étaient ainsi. Un croquis du prince de Joinville, pris le jour même d’après nature, en fait foi. Ce que le peintre a dû imaginer, ce sont seulement