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et cela serait grave, si l’histoire était véritablement, comme quelques-uns le prétendent, une science pure, dont les méthodes seraient rigoureusement contrôlables et strictement obligatoires. Mais, par bonheur, l’histoire est, ou peut être quelque chose de plus qu’une science : elle peut être un art capable d’agir en diverses manières sur les esprits des hommes, sur leurs dispositions et sur leurs tendances. Donc, elle peut être une forme de l’action ; et l’action, quand elle a en soi une raison d’être, finit toujours par en prendre conscience à mesure qu’elle s’effectue. Il arrive souvent à l’homme de ne voir en plein la raison de son œuvre qu’au moment même où il opère, et c’est ce qui m’est arrivé à moi-même. La réponse à ces angoissantes questions, je l’ai trouvée sur les routes du monde ; après le long voyage que j’ai entrepris en vue de célébrer la gloire de Rome, la meilleure façon, du moins pour moi, de fêter cette sorte de symbolique retour, c’est de vous apporter, du monde parcouru en tous sens, cette réponse qui implique l’un des problèmes les plus controversés de la culture moderne. Eh bien ! non. L’histoire romaine est inépuisable, et jamais elle ne sera trop récrite, surtout par les peuples qui sont enfans de Rome, surtout par l’Italie, qui est sa fille aînée : car c’est une histoire privilégiée, dont nous sommes tous intéressés à ne pas laisser prescrire le privilège ; et, si cette histoire est privilégiée, c’est parce qu’elle est complète et synthétique, c’est parce que, quand on embrasse d’un regard la suite des siècles qui vont depuis le début des guerres puniques jusqu’à la scission définitive de l’Orient et de l’Occident, on peut observer, tendue sur cet immense panorama de deux grandioses dissolutions sociales et d’une grandiose recomposition qui se place entre les deux dissolutions, ce que j’appellerais volontiers la trame de l’histoire universelle.

De quelle manière, en effet, commence l’admirable histoire de Rome ? Non par le chaos, comme la biblique histoire de l’Univers, mais par l’ordre, c’est-à-dire par la paix intérieure, par la discipline politique, par l’équilibre bien assis des fortunes, quoique tout le monde vive alors dans la pauvreté campagnarde ; et, tant dans l’ensemble de l’Italie, entre les populations rurales, les classes moyennes, les restes des noblesses locales, que dans chacune des villes qui n’ont pas oublié encore leurs origines propres, cet équilibre est maintenu au moyen des lois, de la religion, de la munificence, du prestige à demi divin