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PORTRAIT D’HOMMES ET TOILES DÉCORATIVES
AUX
SALONS DE 1910

Ce qu’on découvre tout d’abord aux Salons de 1910, lorsqu’on y pénètre par la porte de l’avenue d’Antin, ce sont quelques projets de ruines : des femmes coupées en morceaux, des torses sans tête, sans jambes, sans bras, des poitrines sans dos, des dos sans poitrine, — un pied. Tout cela signé des noms des maîtres les plus officiels et les plus vénérables, tels que M. Rodin, et juché à des places d’honneur et dans le meilleur jour possible à la suite de longues et savantes controverses, sous les yeux bénévoles de M. le surintendant des Beaux-Arts et d’une foule ébahie. On se croit transporté en quelque terre lointaine de mission archéologique, à l’exposition publique qui suit des fouilles heureuses. On s’étonne de ne pas voir passer dans le hall clos tuniques flottantes d’Orientaux porteurs de couffins. Et, le premier moment de stupeur passé, l’idée nous vient que ces grands artistes ont voulu procurer aux ignorans que nous sommes les subtiles jouissances réservées jusqu’ici aux seuls archéologues : rassembler une figure éparse, imaginer les bras qui conviendraient à ce torse, chercher la tête qu’il faudrait pour surmonter dignement ces épaules…. De qui est ce pied ? Que tient cette main ? Ce magma est-il un simple éboulis de mur ou n’y saurait-on distinguer quelque galbe de statue ? et d’abord est-ce un homme ou une femme ? Bref, toutes les émotions