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prendre des bains de vapeur. Des exhalaisons sulfureuses émanent du tuf poreux, où les Arabes s’allongent et passent la nuit, comme sur les plaques brûlantes des thermes, dans les grandes villes d’Orient. Il est plus que probable que la banlieue d’En-Gaddi possède des sources semblables. Les Esséniens, qui étaient non seulement des devins, mais des guérisseurs, s’étaient peut-être fixés dans cette oasis, à cause de la bonté de ses eaux. Peut-être qu’ils y attiraient des malades, comme à Callirrhoé.

A évoquer ces vieux souvenirs, à goûter le charme de ce site prestigieux, on se laisse aller au rêve d’une En-Gaddi renaissante, qui serait, non plus une forteresse, mais une retraite bien close pour les âmes éprises de solitude. Dieu la préserve à tout jamais des prétentieux et ridicules palaces, qui déshonorent, au bord du Nil, les plus beaux paysages du désert libyque ! Ce que je voudrais y voir, c’est une de ces taciturnes maisons blanches comme il en existe sur les hauteurs du lac de Tibériade, et qui tiennent à la fois du caravansérail et du monastère. Avec ses lourdes coupoles orientales, ses murs aveugles et blanchis à la chaux, elle ne ferait pas tache parmi les roches immaculées d’En-Gaddi et les nobles architectures des Monts de Moab.

Vraiment, il y a de quoi vivre, ici, une vie tout entière. La féerie des couleurs et des formes y est tellement inépuisable ! Il y flotte, surtout, un tel air de volupté ! Mais je sais bien que ce n’est qu’un rêve, — le rêve d’un matin d’hiver ! Parmi ces pierres et ces sables, on ne peut être qu’un passant !

Je regarde autour de moi. Je recompte les arbres de la terrasse : les sejkals épineux qui semblent momifiés sous le bitume de leur écorce, le pommier de Sodome, avec ses fruits creux, ses fleurs louches, aux lividités vénéneuses. Décidément, le festin de l’hôte n’a point été préparé en ces lieux ! Même la galette d’Abdallah y est un mets rare et délicieux, que l’on doit faire venir de loin ! En attendant que la palmeraie de la Bible refleurisse à En-Gaddi, il faut se résigner à y mourir de faim, et peut-être de soif !


Ainsi qu’il arrive toujours, je n’y ai rien vu de ce que j’espérais voir. Mais la réalité est beaucoup plus belle que les chimères de mon imagination. Les jardins sans arbres et sans ombre que la solitude a créés, pendant des siècles, autour de la