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se dissoudre, l’instant d’après. Précipités par les éruptions souterraines, ces strates volcaniques ont été taillées, sculptées, déchiquetées, au cours des siècles, par l’eau mordante du lac, par le soleil et par le vent. L’œuvre des forces naturelles se poursuit sans trêve, produisant des figures instables, toujours en travail, et dont l’aspect change selon la perspective et la distance. En cette minute, par-delà les eaux bleues de la mer, on dirait qu’il y a là, là-bas, vers l’Arabie, un grand port occidental, — une Palerme ou une Messine fabuleuse, — avec des quais lumineux, dorés par le hâle marin, et de hautes bâtisses à pilastres, dont les fenêtres incendiées renvoient les feux du soleil couchant.

Et néanmoins, malgré ces entassemens d’architectures illusoires, malgré toute cette surcharge du détail, — l’ensemble, comme dans la plaine de Jéricho, reste d’une extrême simplicité. C’est tellement grand, que les plans confus du paysage finissent par se réduire à deux immenses surfaces rectilignes et rigides : un miroir horizontal, une muraille perpendiculaire, fuyant à l’infini.

Parfois, lorsque les tons sont tout à fait adoucis, on songe à un Nil plus large et plus encaissé, — un Nil désert, où la vie se serait arrêtée, où ne passeraient plus les longues voiles triangulaires des dahabiehs. Mais trop de vapeurs montent de la cuve fumante de l’Asphaltite, pour que les deux images se confondent longtemps. L’atmosphère d’Egypte est beaucoup plus pure que celle-ci… Maintenant, une sorte de brouillard blanchâtre se déploie sur le lac, les côtes et les montagnes s’effacent. Du haut de la terrasse d’En-Gaddi, on n’aperçoit plus sous ses pieds qu’un vaste amas de blancheurs légères comme des mousselines. Cela se dissipe lentement, à mesure que le jour se retire. La nuit est venue : le clair miroir de la Mer Morte reparaît, inerte et glacé, sous le ciel plein d’étoiles.


Le lendemain, quand nous nous réveillons, la source, près de laquelle nous sommes campés, fume dans la fraîcheur de l’aube. Elle coule devant la tente, comme un bain tiède tout préparé. Les pieds dans l’eau, notre guide Abdallah s’y livre à ses ablutions, avec une superbe impudeur.

Après quoi, il se met en devoir de préparer son repas.

Il a apporté, de son douar, un peu de farine, dans un sac de