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tons jaunes qui la font ressembler à une peau d’orange. Lorsque ces pommes sont bien sèches, il suffit d’une légère pression pour les briser. Elles tombent en poussière dans la main et prêtent alors aux plus ingénieux développemens allégoriques sur la vanité des plaisirs, — brillans et séduisans de loin, mais qui ne sont plus que cendre, dès qu’on les touche.

Le pommier d’En-Gaddi est si vivace et si verdoyant qu’il ne paraît point être du même pays que les rugueux sejkals, ramassés, là-bas, sous leurs épines et leurs carapaces de pachydermes. Il est vrai que, lui, il est abondamment arrosé par une source qui baigne ses racines, tandis que les autres se rabougrissent au milieu des pierres tranchantes.

Cette source est un délice parmi tant d’aridité désolante. Pauvre source, comme il ne s’en trouve que dans ces régions disgraciées ! Elle est tiède, la saveur, légèrement sulfureuse, est désagréable. Et pourtant son seul aspect crée une illusion de fraîcheur et répand, aux alentours, la petite poésie naïve qui, dans tous les pays du monde, s’attache aux eaux murmurantes. Il y a tant de charme dans son accueil que nous nous décidons à planter notre tente auprès d’elle. Mais ce lieu de rafraîchissement a ses habitués sur qui nous ne comptions point. A peine y sommes-nous installés que deux jeunes chameaux se présentent pour y boire. Ils sont extrêmement drôles, ces adolescens du désert. Frisés, couverts du léger duvet jaune des oisons fraîchement éclos, ils plongent voluptueusement leurs babines sémitiques dans l’onde désaltérante, les paupières mi-closes sur leurs gros yeux en boules de loto. Puis, nous ayant aperçus, ils prennent tout à coup la fuite, en tricotant de leurs jambes maigres, où le poil s’arrête à la hauteur du jarret. Ils sont gauches et grotesques à plaisir, comme, à l’âge de la mue, deux nigauds de collégiens en pantalons trop courts.


En suivant les sentiers frayés par les chameaux, on descend, de la terrasse d’En-Gaddi, dans la plaine resserrée qui l’entoure.

Cette campagne minuscule est un chaos où la mort et la vie s’envahissent et se recouvrent perpétuellement. Au milieu de fourrés compacts, aux pousses vigoureuses et tenaces, se dressent des arbres morts, dépouillés de leur écorce, brûlés, stérilisés par l’ardeur véhémente du soleil, squelettes végétaux, dont les