Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/597

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surgissent, droites et rigides, avec leurs dures feuilles métalliques, d’une apparence tellement factice qu’on les croirait artificiellement piquées dans les creux des roches. Et puis, il y a les arbres ! Ils sont cinq ou six en tout, mais assez étranges, assez illustres aussi, pour qu’on prenne la peine de les regarder. Les plus gros sont, en effet, des sejkals, — et le sejkal, selon la Bible, fournit son bois pour la construction de l’Arche sainte d’Israël. On le nomme communément « le Bois de l’Arche. » C’est un arbre trapu, au tronc puissant, aux branches épanouies en parasol et dont les feuilles menues ressemblent à une écume verdâtre, ou à de la moisissure. L’écorce hérissée d’épines a l’air momifiée et morte. Aucun arbre du désert ne donne une pareille impression de résistance acharnée contre les forces ennemies qui l’assaillent, — le feu dévorant du soleil, les assauts des vents dévastateurs. Il est dans un état de défense perpétuelle. A lutter opiniâtrement ainsi contre la nature ambiante, le sejkal a fini par se confondre avec elle. Il est inerte et inanimé comme elle. Il a la dureté de la pierre et des métaux. Presque incorruptible, il était prédestiné à servir d’enveloppe à la Loi qui ne passe point.

Plus luxuriant, plus rapproché de nos arbres d’Europe est, le fameux pommier de Sodonie. Si je ne me trompe, il n’en existe qu’un seul sur la terrasse d’En-Gaddi. En cette saison de l’année, il est en pleine floraison.

Ses fleurs rappellent, à s’y méprendre, celles du magnolia ; mais, au lieu d’être d’un blanc laiteux, elles sont vertes, — d’un vert livide et gras, — avec des pétales charnus et comme gonflés de poisons. Les fruits apparaissent déjà. Ce sont de gros ballons verts couturés diamétralement d’une sorte de bourrelet en commissure. On les ouvre comme des lanternes vénitiennes. A l’intérieur, à la place du lampion, repose un croissant écailleux posé, en son milieu, sur un pédoncule, les deux cornes en l’air. Deux petites épines soyeuses, d’un blanc de satin, en aiguisent les deux pointes. Ces fruits lustrés et regorgeans de sève, ce bel arbre au feuillage hospitalier démentaient tous mes préjugés littéraires à l’endroit du funèbre pommier de Sodome.

Ceux qui l’ont décrit ne l’avaient probablement pas vu. Ils n’en connaissaient que les fruits desséchés, tels qu’on les vend aux pèlerins, dans les caravansérails de la route de Jérusalem à Jéricho, En vieillissant, l’écorce verte se durcit et prend des