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éclat phosphorescent. Le ciel est limpide : un seul nuage y est suspendu, qui s’échevèle en traînées de vapeurs aux contours fantastiques. Une forme humaine s’en dégage, puis d’autres, emportées, avec elle, dans un vertigineux mouvement d’ascension. Des ailes, des chevelures, des draperies gonflées de vent se dessinent sous les reflets lunaires. Un profil impérieux, un bras levé qui commande à tout l’espace dominent le groupe aérien : c’est le Jéhovah de la Bible, soutenu sur son trône par les Khéroubim. Un moment, l’illusion flottante acquiert une netteté d’apparition apocalyptique. Puis l’image se défait, les vapeurs se dispersent, et le champ des constellations reprend sa limpidité sereine…

Ce désert est peuplé de visions. Et tandis que, l’imagination encore troublée, je gagne la tente enfin dressée, je songe aux rudes nabis, aux voyans d’Israël qui habitèrent les trous des roches voisines. Avant de m’endormir sur l’étroit lit de camp, j’essaie de lire, dans le Livre de Samuel, l’histoire de Saül et de David. La flamme jaune de la bougie oscille au moindre souffle, brouille les caractères du livre. Elle fait trembler sur les parois de la tente, les figures aux couleurs violentes dont elle est couverte du haut en bas. C’est une tente égyptienne, fabriquée au Caire, par des ouvriers indigènes : des lotus, des ibis, des éperviers, des dieux à têtes animales s’enlèvent, sur le fond blanc de la toile, que des inscriptions arabes encadrent de leurs fourmillantes arabesques. Tout cela bouge, grimace, s’anime d’une vie effarante dans le halo livide de la lumière. Au dehors, j’entends cliqueter les chaînes des chevaux à l’attache, et, de temps en temps, quelques syllabes rauques, que nos moukres échangent autour du feu. Puis, un hululement de chouette, puis un murmure de vent qui se soulève et qui défaille, puis le calme absolu… Et j’éprouve une détresse d’âme comme jamais je n’en ai ressenti, même au cours de mes pérégrinations sahariennes, lorsque j’étais seul, perdu dans l’alfa, ou dans les sables des dunes.


Le lendemain, au petit jour, ces impressions funèbres se dissipent.

Le paysage, qui m’avait paru si fantastique sous la lune, est seulement morne et désolé. Sauf l’ouverture bizarre du puits et