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civilisée, et, bien qu’il n’y ait rien à craindre dans ces parages, on s’arme jusqu’aux dents ; on se sent plus brave de voyager ainsi, à la façon belliqueuse des anciens patriarches ; on retrouve au fond de soi les vieux instincts combatifs que la mollesse occidentale a périmés : c’est une autre dilatation d’amour-propre !

Toutes ces satisfactions glorieuses nous seront données. Nous aurons avec nous dix ou douze serviteurs. Leur rôle sera surtout décoratif, comme il sied dans un pays où le goût de la pompe s’est conservé. Mais, en cours de route, il y aura tel moment pénible, où ces figurans ne seront pas de trop. D’ailleurs, ils ont à surveiller nos bêtes de somme et tout l’attirail qu’elles transportent : une tente, des lits de camp, des caisses contenant les provisions de bouche et les boissons indispensables à l’estomac débile du Roumi. J’ai fait, à des époques moins clémentes, des voyages autrement longs, où je fus privé de ces douceurs. Décidément, celui-ci ne s’annonce pas comme bien terrible !


Nos gens, partis à l’avance, nous attendent à Bethléem.

Nous les retrouvons stationnant sur l’esplanade qui s’étend devant la Basilique de la Nativité. Au moment où nous y arrivons, notre drogman soutient une discussion orageuse avec un grand diable de Bédouin, qui cric, qui s’emporte, qui roule les yeux, qui prodigue les gestes forcenés et menaçans. J’entends qu’il se nomme Abdallah. C’est notre conducteur officiel, celui qui répond de nos personnes devant les tribus nomades que nous allons traverser. Pour cette protection, nous avons payé une redevance. Mais, selon la coutume, cet Abdallah se démène pour la faire augmenter. Notre flegme lui impose. Il finit par s’apaiser. Et nous partons enfin, majestueusement, au milieu des populations attroupées, qui suivent des yeux notre cortège, avec une curiosité gouailleuse.


A peine avons-nous dépassé les dernières maisons de Bethléem, qu’un supplice non prévu commence, qui promet de s’éterniser : celui de la lapidation continue, — une lapidation spéciale qui consiste, non plus à recevoir des pierres, mais à marcher dessus.

La ville étant bâtie sur une hauteur, nous descendons par un