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Angleterre, traditionnelle et formaliste, debout près du berceau de l’enfant royal qui était destiné à comprendre un autre idéal et à guider des générations nouvelles vers un nouvel état social. Si l’on pouvait analyser les sentimens qui composaient l’atmosphère morale de la nursery, où le baby-prince allait recevoir ses premières impressions, — celles qui, dit-on, ne s’effacent jamais, — on y découvrirait des élémens insoupçonnés de l’excellente Lilly. La jeune mère s’était laissé façonner aux idées de simple félicité domestique, apportées d’Allemagne par un mari qu’elle adorait. Réaliser sous l’apparat royal la douce vie intime d’un ménage heureux, partager son temps entre la représentation officielle et l’éducation des enfans, tel est le plan d’existence adopté par le couple royal, sous l’inspiration de Stockmar qui s’est constitué leur mentor. Ils s’échapperont souvent, le plus souvent qu’ils pourront, de Buckingham-palace, si froid et si banal, ou de ce beau Windsor, plein des souvenirs d’un autre âge ; ils se créeront, à Osborne et à Balmoral, des résidences à leur goût et, si je puis dire, à leur image, simples, mais très modernes, confortables et rustiques, de vraies « maisons de campagne, » où les enfans seront sans cesse auprès de leurs parens, où ils joueront en bon air et en pleine liberté, où la princesse royale sera Vicky, et le petit prince de Galles, tout uniment, Bertie.

D’après tout cela, on imagine quelle fut l’éducation de l’ambiance, la plus importante, peut-être ! — pour Albert-Edward, prince de Galles, duc de Cornwall et de Rothsay, qui ajouta plus tard à tous ces titres, héréditaires ou quasi héréditaires, celui de comte de Dublin. A huit ans, il passait des mains des femmes dans celles des hommes ; il entrait sous un régime nouveau dont les lignes principales avaient été arrêtées, après de longues et consciencieuses réflexions, par le prince Albert, assisté et très influencé par l’inévitable Stockmar. Je ne donnerai pas les noms des précepteurs qui se succédèrent auprès de lui et furent censés présider aux différentes périodes de son éducation. Le prince Albert fut le véritable précepteur de son fils. Il voulait lui inspirer et réussit, en effet, à lui inspirer deux sentimens qui étaient des traits distinctifs de son propre caractère : la sympathie envers les humbles et les déshérités et cette universelle curiosité qui le portait à s’intéresser à toutes les manifestations de l’intelligence de son temps, dans la science, dans la