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grandeur royale avec la personnalité, très sympathique et très séduisante, mais un peu frivole et nonchalante, pensait-on, de cet aimable prince de Galles, l’hôte privilégié de nos grands clubs et de nos petits théâtres, l’ami de nos mondains et de nos artistes, que nous félicitions d’être « très Parisien, » sans nous inquiéter de savoir s’il n’était pas, par cela même, un peu moins Anglais.

Pourtant, que la prédiction ait été formulée ou non, elle est réalisée. Nous nous trouvons en présence d’un fait patent, indéniable, que la mort soudaine d’Edouard VII a mis plus que jamais en lumière et qui s’accusera tous les jours davantage, lorsqu’on mesurera, au vide qu’il laisse, la place qu’il a occupée. Je ne fais que répéter ce que tout le monde a dit lorsque j’écris qu’il a été vraiment un grand roi, et je ne crois pas que ce soit là l’exagération de la première heure, l’hyperbole inévitable des oraisons funèbres. Reste à faire comprendre comment il a pu, sans sortir des étroites limites où la Constitution l’enfermait, sans s’arroger un seul des pouvoirs dont ses prédécesseurs s’étaient dessaisis, jouer un rôle si considérable, exercer une influence si bienfaisante, créer ou restaurer une tradition, un système de politique européenne, refaire de ses mains ce vieil équilibre européen auquel l’histoire nous commandait de croire, mais que, pendant trente ans, nous avons vu dans la poussière. La « grandeur » d’Edouard VII semblait une impossibilité et demeure un paradoxe. Essayons de la comprendre et de l’expliquer.


I

« Est-ce un garçon ou une fille ? » demanda anxieusement le duc de Wellington à Mrs Lilly au moment où elle sortait de la chambre royale, le 9 novembre 1841, tenant le nouveau-né dans ses bras.

« — C’est un prince, Votre Grâce ! » répondit avec dignité la gouvernante, corrigeant ainsi l’irrévérence familière du vieux héros, vivante incarnation du culte monarchique, auquel l’émotion avait fait, pour une seconde, oublier l’étiquette. Certaines anecdotes sont des documens ; elles éclairent l’histoire et je crois que celle-ci est du nombre. Elle nous montre la vieille