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sacrée : pureté voulue et élue. Seule, elle domptait la licorne, dont le blason étrange personnifiait le piège de l’insaisissable et indomptable nature.

La pureté remplissait de telle sorte le cœur intangible de Jeanne qu’il ne pouvait plus que se briser en sacrifice. Comme il était fait et créé, ce cœur écoutait, en lui-même, « la voix » qui était celle de son créateur et de son objet, Dieu. L’amour de Dieu était la seule jouissance qui pût le satisfaire, et la volonté divine, la seule à laquelle il pût se ranger. Or, la volonté divine ne doit viser que des choses grandes, surhumaines, les plus grandes choses et les « plus surhumaines » que l’on pût concevoir ou rêver en ce temps. Pour une catholique et pour une Française, la plus grande chose, la « plus surhumaine, » celle qui tirait tout ensemble, de l’abîme, l’Etat et l’Eglise, n’était-ce pas le salut du royaume de France ?

Si Jeanne n’eût pas été « la Vierge, » la « Pucelle, » l’amante absolue de la pureté et du devoir, elle fût restée la petite bergerette ou fût devenue une fille des camps.

Les visions de Jeanne ont donc pour raison sa vertu ; sa mission c’est son âme se projetant en actes ; son histoire (y compris les visions) est une psychologie transcendante, parce qu’elle est le reflet de cette volonté divine qui l’a formée, élue, consacrée. Les grandes âmes ne se limitent pas aux choses terrestres parce qu’il leur tarde d’être hors de la terre. Aux vertus surhumaines, besognes surhumaines, tout se tient et s’explique.

Il ne fallait pas moins que la vertu courageuse de Jeanne d’Arc pour fixer les destinées de la France et orienter, dans une crise unique, celles du monde.


GABRIEL HANOTAUX.