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elle avait treize ans (I, 128). Durant sa brève carrière, elle est soumise à des visites incessantes ; elle laisse faire avec une candeur d’enfant. Au cours du procès, elle fut examinée, une première fois, par l’ordre de l’évêque de Beauvais (II, 201, 217) ; puis par l’ordre de Bedford (II, 201, 111, 89, 155) ; peut-être par un médecin (III, 50). Aux juges qui lui posent encore une question à ce sujet, elle offre, de nouveau, de se prêter à ces étranges recherches (III, 175). Sa virginité, c’était son appui ; et quand elle faiblit un moment, avant de se décider à accepter le bûcher, c’est à cela qu’elle pense : « Mon corps pur et net de toute tache ! etc. »

Il y a, dans la vie de sainte Catherine de Sienne, un mot qui exprime cette foi invincible dans la virginité : « La calomnie se répandant contre elle, raconte son biographe, les sœurs du couvent lui firent des reproches. Sans se plaindre de personne, elle répondit modestement : « Mesdames et mes sœurs, par la grâce de Dieu, je suis vierge. »

En raison du désordre général des mœurs, en raison de la spéciale vigilance et des perpétuelles recommandations de l’Eglise, la virginité était devenue la préoccupation maîtresse des âmes pures. N’est-ce pas là que la nature prend sa plus dangereuse revanche ? « Une fois saint Vincent Ferrier, vers quatre heures de la nuit, lisait dans sa cellule le livre de saint Jérôme, Sur la perpétuelle virginité de Marie ; il entendit une voix : « Nous ne pouvons pas être tous vierges ; car, quoique tu aies pu t’appeler vierge jusqu’à présent, je ne souffrirai pas davantage que tu te glorifies de ce nom si honoré… » L’homme de Dieu ne savait que penser de ces paroles. Peu après, Marie lui apparut dans une grande lumière, le consola et lui dit : « Les paroles que vous avez entendues sont du démon, etc.[1]. »

La virginité était une force exceptionnelle, en ce temps, parce qu’elle était le symbole de la résistance, — de la résistance constante, avertie et heureuse aux embûches inlassables du Malin. Pour qu’une fille défendît sa virginité, il lui fallait, non seulement une volonté héroïque, mais une chance insigne, preuve de la protection divine. Le torrent des méfaits qui coulait sur le monde n’épargnait personne ; la surprise et la violence guettaient le moindre abandon. La vierge était donc doublement

  1. Rohrbacher, loc. cit. (t. IX, p. 63).