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Dieu n’agit-il pas, sans cesse, sur le monde que sa dextre soutient ? Il a envoyé Jeanne pour le salut du royaume de France. Quoi de plus admissible ? Visions, apparitions, révélations, mais c’est l’ordre normal des choses. Sur cela, pas plus de doute dans les esprits des contemporains que dans celui de Jeanne. Tout au contraire, ils acceptaient humblement ces témoignages de la miséricorde divine, même quand elle les châtiait, comme un réconfort et une espérance. Dieu n’avait donc pas détourné sa face. Les révélations, les « visions » sont, dans ces temps désordonnés, les guides nécessaires et humblement bénis de la trop faible humanité[1].

Les théologiens distinguent deux sortes d’apparitions et de visions : celles qui viennent de Dieu illuminent les saints et les saintes, celles qui viennent du diable agitent les sorcières et les possédées. L’Église, seule, peut distinguer entre les bonnes et les mauvaises visions, entre le dictame et le poison. Les docteurs, pesant soigneusement chaque cas particulier, ont seuls qualité pour séparer l’ivraie du bon grain[2].

L’ « inspiration » de Jeanne d’Arc ne se distingue de celles des autres « élus » de ce temps que par son objet civil et patriotique. Ce caractère mis à part, elle se range dans une série historique dont les cas sont nombreux et d’une authenticité incontestable. Les « visions » d’autres saints et d’autres inspirés présentent la plus grande analogie, et même, parfois, une identité absolue avec les faits mystérieux qui ont marqué la mission de Jeanne. Par leur multiplicité, ces faits s’autorisent et s’authentiquent les uns les autres.

Comme Catherine de Sienne avait six ans, « Notre Seigneur lui apparut au-dessus de l’église des frères prêcheurs, assis sur un trône avec la tiare sur la tête et accompagné de saint Pierre, de saint Paul, ainsi que de saint Jean l’Evangéliste[3]… » « Souvent, quand elle montait les escaliers de la maison paternelle,

  1. L’appel à la divine Providence pour le salut de l’humanité provoque les grands mouvemens des foules. Sur les processions d’implorans qui ébranlent tout Paris et les environs pendant plus de deux mois, en 1412, voyez Bourgeois de Paris, dans Buchon (p. 610).
  2. Voyez tout le chapitre de M. Henri Joly, « les Faits extraordinaires de la vie sainte, » dans Psychologie des Saints (p. 70 et suiv.), et les citations de Benoit XIV.
  3. Il suffit de se reporter aux récits contemporains de la vie de Jeanne d’Arc, pour y retrouver la plupart des exemples empruntés ci-dessous aux vies des autres saints.