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extraordinaires qui lui sont attribués : découverte de l’épée de Fierbois, ses blessures guéries sans l’usage de remèdes, la direction du vent changée, etc. ; bien moins encore du fait de Lagny ; et, quand il s’agit de relever les miracles accomplis par l’intervention de Jeanne d’Arc, on n’invoque ni ses propres actes ni même ce prodige étonnant, surhumain, que fut sa carrière : conformément, d’ailleurs, aux règles canoniques, la congrégation ne relève que des faits postérieurs à la mort de l’héroïne : sœur Thérèse de Saint-Augustin guérie d’un ulcère à Orléans en 1897, sœur Julie Gautier guérie d’un ulcère cancéreux à Faverolles, près d’Evreux, sœur Marie Sagnier de la congrégation de la Sainte-Famille, guérie également à Frages, diocèse d’Arras.

Jeanne d’Arc est proclamée bienheureuse ; l’héroïcité et la sainteté de sa personne sont reconnues ; les catholiques peuvent réciter l’office et célébrer la messe en son honneur, chaque année, selon le commun des Vierges avec les oraisons propres approuvées par le Pape. Mais Rome n’a pas été au-delà.

Les Français peuvent donc, tous ensemble, de bonne foi, rechercher les circonstances non seulement divines, mais humaines, dans lesquelles cette carrière merveilleuse s’est accomplie.


III

Qu’il y ait, sur la terre, des peuples « élus, » que la divinité ait fait son choix entre les puissances d’ici-bas, qu’elle dérange l’ordre de la nature pour venir en aide à ses favoris, que le Dieu des armées intervienne en nos combats, arrête le bras du vainqueur, tienne en suspens la chute du soleil, fasse refluer les eaux et tomber les murailles ; en un mot, que Dieu se soit prononcé, au XVe siècle, pour la France contre l’Angleterre, c’est tout un système philosophique, moral, politique et religieux que l’on adopte, dès que l’on admet la mission divine de Jeanne d’Arc[1]. Mais les motifs et les conséquences de cette croyance

  1. Les Anglais étaient persuadés que Dieu était avec eux : « Quand, après la bataille d’Azincourt, Henri V s’est donné le « piteux » spectacle de « la grant noblesse qui là étoit occise, lesquels étoient déjà tout nus comme ceux qui naissent de mère », il dit : « Ce n’est pas nous qui avons fait cette tuerie, mais Dieu tout-puissant pour les péchés des Français… » — Le 1er décembre 1420, Henri V entrait triomphalement dans Paris, escorté du roi et de la reine de France, au milieu des rues pleines de processions de prêtres, revêtus de chapes et de surplis, portant reliquaires et chantant : Te Deum laudamus ou : Benedictus qui venit in nomine Domini. — Sur son lit de mort, repoussant tous remords que l’approche du mouvement de Dieu pouvait faire naître dans son âme, il se rend ce témoignage : « Ce n’est pas l’ambition ni la vaine gloire du monde qui m’ont fait combattre. Ma guerre a été approuvée par de saints prêtres ; en la faisant, je n’ai point mis mon âme en péril. » F. Rabbe, Jeanne d’Arc en Angleterre (p. 13).