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grands du royaume, s’étant divisés en présence du succès des Anglais et ne voulant, ni les uns ni les autres, accepter parmi eux un chef, l’un d’entre eux plus sage aurait imaginé cet expédient d’alléguer que cette pucelle était envoyée de Dieu pour prendre le commandement : nul homme n’oserait se refuser à l’ordre de Dieu. Ainsi la conduite de la guerre aurait été confiée à la Pucelle avec le commandement des armées. » (IV, 518.)

Saint Antonin de Florence avait laissé une appréciation tout aussi mesurée : « Elle fut, en tout, digne d’admiration ; sous quelle inspiration, on ne le savait. Mais on croyait plutôt que c’était celle du Saint-Esprit. Cela résultait de ses actions dans lesquelles rien ne paraissait de contraire aux mœurs, rien de superstitieux, rien de contraire à la foi. » (IV, 506.)

Malgré tout, deux partis se sont formés aux extrêmes et se sont livrés aux polémiques les plus pénibles, depuis la grossière erreur de Voltaire jusqu’aux virulences de récens biographes du parti contraire.

Rome ne s’est pas montrée si absolue sur la question des miracles, des prophéties, des visions[1]. Le bref du pape Pie X célèbre « l’héroïcité des vertus de la vénérable servante de Dieu Jeanne d’Arc, vierge, » — mais sans ajouter martyre. Il est dit que, jeune, elle a entendu « la voix de Michel, prince de la milice céleste, » qu’elle a été « émue par des avertissemens du ciel, » « poussée par un souffle divin, » qu’ « elle s’est appuyée sur des conseils célestes, » que Dieu « a doté cette pauvre villageoise, qui ne savait même pas lire, d’une sagesse, d’une science, d’une habileté militaire et même de la connaissance des mystères divins ; » toutefois cette intervention de la Divinité n’est indiquée que par des paroles atténuées : « Ainsi le Ciel combattit contre les ennemis du nom français ; ainsi fut miraculeusement sauvée la patrie ; la mission de Jeanne d’Arc était achevée… » Nulle part, il n’est question des apparitions, pas plus que des prédictions de Jeanne d’Arc ou des faits

  1. Il me semble que la doctrine de l’Église, en ces matières délicates, a été tracée de la main de Benoit XIV, dans son traité De la Béatification et de la Canonisation des Saints [III, 15), cit par M. H. Joly dans sa Psychologie des Saints (p. 83). Benoit XIV dit, à propos des révélations de sainte Catherine de Sienne et de sainte Brigitte : « Bien que plusieurs de ces révélations aient été approuvées, nous ne devons ni ne pouvons leur donner un assentiment de foi catholique, mais simplement un assentiment de foi humaine et selon les règles de la prudence, quand ces règles nous permettent de juger ces prédictions probables et dignes d’une pieuse créance. »