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par les chefs des conseils et des armées de Charles VII pour abuser la superstition populaire ; 3° enfin, la thèse royale, celle qui est développée, surtout, au procès de réhabilitation, par ceux qui portèrent la parole au nom de la Cour et dont les allégations évidemment concertées tendent toutes au même but : Jeanne fut envoyée de Dieu avec mission expresse de sauver les affaires de France au moment du siège d’Orléans et de faire couronner le Roi à Reims. Après quoi, sa mission est achevée. Le tribunal de Rouen a condamné une innocente dont l’intervention avait prouvé que Dieu se prononçait pour la dynastie de Valois.

Cette dernière préoccupation est apparente, aux diverses phases du procès de réhabilitation, dans le soin avec lequel certaines questions sont posées et d’autres laissées dans l’ombre. Elle se découvre dans la lettre par laquelle, au début du procès, dès 1456, l’archevêque de Reims, Jean Jouvenel des Ursins, prie un des témoins principaux, Jean d’Aulon, écuyer de Jeanne d’Arc, d’envoyer sa déposition : « Je vous écrivis déjà au sujet du procès fait contre Jehanne la Pucelle par les Anglais, par lequel ils veulent maintenir qu’elle fut sorcière, hérétique, invocatrice des diables et que, par ce moyen, le Roi auroit recouvert son royaume, et ainsi ils tiennent le Roi et ceux qui l’ont servi pour hérétiques. Puisque vous avez très bien connu sa vie et son gouvernement, je vous prie d’envoyer par écrit ce que vous en savez, signé de deux notaires apostoliques, etc., pour révoquer tout ce que les ennemis ont fait touchant le dit procès… » (III, 208.) C’est une thèse, surtout politique. En somme, ces trois systèmes admettent le miracle, une intervention extra-humaine. Cet accord fondamental pesa d’un poids énorme. La question de Jeanne d’Arc n’appartient pas seulement au domaine de l’histoire profane : elle agite les consciences et se transforme, selon les dispositions de ceux qui l’étudient et l’exposent, en une thèse religieuse et doctrinaire, les uns acceptant, les autres rejetant l’explication mystique.

Toutefois, même dans le siècle de Jeanne, il s’était produit des interprétations plus réservées. Un homme considérable, un esprit clairvoyant et renseigné aux bonnes sources, le pape Pie II (Œneas Sylvius Piccolomini) s’exprime en ces termes, dans ses Mémoires, après avoir raconté, avec beaucoup d’autorité, les faits et gestes de Jeanne d’Arc : « Fut-ce œuvre divine ou humaine, j’aurai peine à le dire. Il en est qui pensent que les