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peut-elle répondre, sinon une chose, toujours la même : « Qu’on la croie et qu’elle réussira ! » Elle répète d’une façon si émouvante la parole de sa voix : « Fille Dé, va, va, va, je serai à ton aide, va ! » qu’elle l’emporte encore. (III, 12.) On la croit et on réussit : c’est le début de la marche sur Reims.

Le sacre de Reims est l’accomplissement. Comment douter désormais ? Maintenant, on va lui obéir aveuglément. Tout au contraire. Le fait réalisé brise l’essor des imaginations et l’élan de la foi. Cela est de l’homme. Tous les triomphateurs ont été abandonnés à cause du succès, Thémistocle, Scipion, Napoléon.

C’est au retour de Reims qu’elle prononce les premières paroles de découragement, comme si une telle réalisation l’avait brisée elle-même : « Le Roi étant en marche vers La Ferté-Milon et Crépy-en-Valois, le peuple venait au-devant du Roi et criait : « Noël ! Noël ! » La Pucelle chevauchait entre l’archevêque de Reims, Regnault de Chartres, en qui déjà couvaient de mauvais desseins, et Dunois, qui raconte le fait : « Quel bon peuple, s’écria-t-elle ; jamais je n’en ai vu de si joyeux de la venue du Roi. Que je serai heureuse, à ma mort, d’être enterrée ici ! » Entendant ces paroles, l’archevêque lui dit : « Jeanne, où pensez-vous donc devoir mourir ? » Elle répondit : « Où il plaira à Dieu. Je n’en sais pas plus que vous, ni du temps ni du lieu. Que je voudrais qu’il plût à Dieu, mon créateur, que je n’allasse pas plus loin et que je quittasse les armes ! J’irais dans mon pays servir mon père et ma mère, garder leurs brebis avec ma sœur et mes frères qui seraient tant heureux de me revoir. » (III, 15.)

À partir de cette date, commence la période de l’abandon La « mission » n’était pas achevée, puisque Jeanne n’avait pas réalisé tout ce qu’elle s’était promis à elle-même ; sinon, elle eût quitté les camps. Mais l’heure est arrivée où, la foi tombant, le miracle cesse. Les promesses, les signes et les prophéties étaient moins fortes, les voix elles-mêmes se taisaient. Encore une fois, tout le miracle était dans « l’accomplissement. »


C’est ce miracle qu’il faut accepter !

Qu’une enfant de dix-sept ans, venue de son village, ait sauvé le royaume de France du plus grand péril qu’il ait jamais couru ; qu’elle ait « duré » juste assez pour réussir et qu’elle ait fini pour grandir encore par le mystère de l’abandon et du martyre ; que son apparition et sa disparition aient eu les suites