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nain trapu avec sa houlette et son bissac de berger, s’avança, une fronde en main, et s’écria : « Puissant roi et seigneur ! que personne ne s’inquiète à cause de cet homme ! Si seulement Votre Majesté veut bien me le permettre, j’irai affronter le robuste géant ! »

Le premier acte s’acheva. Tous les autres petits étaient effarés : seul, Wilhelm attendait la suite, et ne cessait point d’y penser. Il était impatient de voir le géant, et puis de savoir comment tout se passerait.

Le rideau se releva de nouveau. David voua la chair du géant aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la plaine. Le Philistin cria des propos méprisans, frappa beaucoup le sol de ses deux pieds, et puis enfin tomba comme une masse, ce qui donnait à l’affaire une issue très heureuse. Mais lorsque, ensuite, le chœur des Vierges se mit à chanter : « Saül a abattu mille hommes, et David dix mille ! » et lorsque la tête du géant fut portée en triomphe devant les pas du petit vainqueur, et que celui-ci demanda pour femme la belle fille du Roi, toute la joie de Wilhelm se trouva un peu gâtée par l’idée que l’on avait figuré le jeune David avec une taille trop petite, qui le faisait ressembler à un nain. Car la chère grand’mère n’avait rien épargné pour rendre caractéristique l’opposition du grand Goliath et du petit David ! L’attention obtuse des autres enfans se prolongeait sans interruption : mais Wilhelm, désormais, était tombé dans une songerie, au point que c’est seulement comme des ombres qu’il vit passer devant ses yeux le ballet des Maures et Mauresques, des Bergers et Bergères. Après quoi le rideau tomba, la porte se referma, et toute la petite société se dirigea précipitamment vers les chambres à coucher, un peu chancelante et comme enivrée : mais Wilhelm, qui avait été forcé de suivre ses frères, restait couché sans dormir, dans la solitude et l’obscurité, réfléchissant à ce qui venait d’avoir lieu, mécontent parmi son contentement, et tout rempli d’espérances, de vagues élans et pressentimens...


Bientôt la grand’mère permet à Wilhelm de s’initier à tous les secrets du théâtre enfantin. Le petit garçon finit même par s’emparer du « livret » de la tragédie, l’apprend par cœur, et obtient de jouer la pièce avec d’autres enfans, remplaçant les ligures de bois qui lui avaient ouvert l’accès du monde merveilleux de l’art dramatique. Tout cela exposé en une série de tableaux très rapides, mais concrets, vivans, et souvent esquissés d’une main très habile. L’auteur, manifestement, s’efforce de prêter à son récit une couleur individuelle qui manquera presque toujours à sa rédaction ultérieure des Années d’apprentissage de Wilhelm Meister. C’est ainsi que les parens du jeune homme, sa sœur, son beau-frère, au lieu d’être les types abstraits du roman de 1794, se montrent à nous avec des physionomies soigneusement nuancées. La mère de Wilhelm est une créature égoïste et vicieuse, qu’un amour adultère empêche de s’occuper de l’éducation de ses enfans ; le père, homme excellent, mais d’un caractère indolent et faible, évite volontiers le séjour d’une maison où il se