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Balthazar, un nombreux répertoire de tragédies bibliques inspirées de celles qu’avaient exécutées, devant lui, ces humbles acteurs de bois. « En lisant ton Wilhelm, — lui écrivait sa mère à propos du début de son manuscrit de 1777, — je vous ai revus, toi et les autres petits garçons, occupés à préparer les marionnettes, dans la chambre du troisième étage. » Et lui-même, d’ailleurs, dans une de ses lettres, ne nous dit-il pas qu’il s’est relevé tout en larmes, après avoir dicté l’un des chapitres de son roman ?

Évidemment ce roman a été composé, d’abord, dans un élan fiévreux d’« illumination » poétique, où quelques-uns des momens principaux du passé de l’auteur lui sont apparus avec un relief exceptionnel de charmante fraîcheur et de vérité. Et nous comprenons sans peine que, plus tard, sa nouvelle doctrine esthétique lui ait commandé d’enlever à son récit ce caractère de confidence trop intime qu’il n’avait pu s’empêcher de lui donner : mais d’autant plus, aujourd’hui, trouvons-nous de plaisir à la lecture de fragmens autobiographiques tels que celui-ci, où, mieux encore que dans le recueil un peu artificiel de ses Mémoires, il nous semble percevoir l’écho des premiers battemens de son jeune cœur :


Le soir de Noël approchait dans toute sa solennité coutumière. Durant toute la journée, les enfans avaient couru çà et là, par toute la maison, ou bien s’étaient tenus accoudés devant la fenêtre, se désolant de voir que la nuit ne voulait point venir. Enfin on les appela, et ils pénétrèrent dans la chambre, où l’on avait fait en sorte que chacun pût prendre sa part d’émerveillement. Et puis, tout à coup, un spectacle inattendu s’offrit à leurs yeux. Une porte, qui donnait sur une pièce latérale, s’ouvrit soudain, mais non pas, comme d’habitude, afin de leur permettre de la franchir en courant : un tapis vert, descendant d’une table, recouvrait la partie inférieure de l’entrée, et, au-dessus de lui, s’élevait un portique voilé d’un rideau vert. Aussitôt tous les enfans se dressèrent debout, curieux de découvrir ce qu’il pouvait y avoir qui brillait, derrière le rideau : mais on leur fit signe de se rasseoir, en leur recommandant doucement d’attendre avec patience. Wilhelm fut le seul qui, comme pénétré d’un respect inconscient, s’obstina à rester debout ; sa grand’mère eut à l’avertir deux ou trois fois avant qu’à son tour il reprît sa place. Et maintenant, tout le monde était assis, en silence ; avec un sifflement, le rideau remonta vers le haut du portique, et laissa voir une perspective de temple, peinte en rouge vif.

Le grand prêtre Samuel apparut d’abord avec Jonathan, et leurs voix alternées enchantèrent tout à fait les petits auditeurs. Et puis Saül entra en scène, extrêmement troublé de l’impertinence avec laquelle un grossier personnage osait provoquer lui-même et les siens. Et quel bien-être fut alors ressenti par notre Wilhelm, qui recueillait avidement tous les mots et se croyait présent à toute l’action, quand le petit David, une sorte de