Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après le Proto-Faust, voici que ressuscitait, inopinément, le Proto-Meister !


Ce qu’est, en réalité, cette version première du roman, et en quoi elle diffère du texte ultérieur, bien des mois s’écouleront sans que nous puissions nous en rendre compte. Car non seulement M. Henri Maync, professeur de littérature allemande à l’Université de Berne, qui a été chargé par M. Billeter de la publication du précieux manuscrit, se déclare tenu encore à maintes recherches et comparaisons, afin de donner à son travail toute la portée critique convenable, mais il y a aussi le procès dont j’ai fait mention tout à l’heure, engagé par les Archives gœthéennes de Weimar contre MM. Maync et Billeter, qui représentent les descendans de Barbe Schulthess. Jusqu’au jour où cet étrange conflit sera enfin résolu, aucun libraire n’ose affronter les frais d’une édition qui risquera d’être interdite, aussitôt parue ; et M. Maync lui-même, au cours d’une très intéressante conférence que vient de publier la Deutsche Rundschau, a poussé la discrétion jusqu’à se défendre de citer une seule page du manuscrit zurichois. Heureusement M. Billeter, avant lui, avait été plus hardi. Presque tout de suite après s’être assuré de l’authenticité de sa découverte, il avait publié, comme on l’a vu, un petit volume qui contenait les « variantes » des deux premiers « livres » de Wilhelm Meister, et nous permettait déjà très suffisamment de saisir l’esprit général des modifications apportées par l’auteur, en 1794, à son « brouillon » de 1777 et des années suivantes.

C’est ainsi que nous pouvons comprendre désormais, à la fois, l’importance que semblait attacher le jeune Gœthe à son nouveau roman, lorsqu’il l’écrivait avec toute son âme au lendemain du succès triomphal de son Werther, et pourquoi, quinze ans plus tard, dans une lettre à Herder, il appelait ce roman une « pseudo-confession, «  ou bien affirmait à Schiller que sa tâche présente se bornait à « éditer » l’œuvre d’un auteur qui maintenant lui était devenu étranger. Pendant l’intervalle des deux rédactions, en effet, le » romantique » de 1777, tel qu’il s’était épanché dans sa Vocation dramatique de Wilhelm Meister plus librement encore que dans ses œuvres précédentes, s’était transformé peu à peu en un poète tout « classique » et tout « olympien, » si éloigné de l’exubérance ingénue de son ébauche de naguère qu’il ne pouvait plus même se résigner à retenir, dans sa nouvelle rédaction, tout ce que l’ancienne avait renfermé de trop intime et. pour ainsi dire, de confidentiel. De sorte