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œuvre se mesurait à sa masse et à sa durée, il n’y aurait pas d’œuvre plus grande que celle-là. Il n’y en a pas en effet, nous avaient assuré, d’avance, les admirateurs du célèbre musicien qui nous est venu de l’Autriche, son pays natal, par l’Amérique, sa patrie adoptive. Un de ses plus fervens apologistes écrivait dernièrement que M. Gustav Mahler, « seul, depuis la mort de Beethoven, a eu l’audace de s’engager dans la route que la Neuvième symphonie avait ouverte, et a su conquérir ainsi définitivement à la symphonie cette liberté illimitée des formes, cette puissance et cette variété d’expression, cette universalité de langage où Beethoven avait atteint dans l’Ode à la joie et les derniers quatuors. Tout cela magnifié encore par un luxe de moyens techniques inconnu jusqu’à nos jours[1]. »

Voici d’abord, dressé par le même auteur, le catalogue ou le bilan de ces richesses matérielles : « 4 flûtes, 4 hautbois, 3 clarinettes, 2 petites clarinettes en mi bémol, 4 bassons, 10 cors (6 dans les quatre premières parties), 8 trompettes (4 dans les quatre premières parties), 4 trombones, Basse-Tuba, 2 timbaliers, cymbales, grosse caisse, triangle, 3 cloches, 2 tam-tams (petit et grand), harpes, orgue et les cordes, plus, pour la partie vocale, un soprano-solo, un contralto-solo et un chœur mixte. » À ces timbres, d’ailleurs connus et multipliés seulement, ajoutez certaines sonorités exceptionnelles : archets frappant du dos le chevalet, verges de bois (à ce qu’on assure) frottant le bord des timbales. Si nombreux sont les instrumens, que plusieurs (trompettes, cors et flûtes, sauf erreur) sont obligés par moments de sortir et d’aller jouer dehors. Musique-foule, disait Amiel de la musique de Wagner. Cette foule à présent nous paraît un groupe choisi. Ajoutez que la symphonie de M. Mahler se déploie dans le temps non moins que dans l’espace. Elle dure cinq grands quarts d’heure. Enfin, autant que la durée et le nombre, sinon davantage, elle a pour élément le bruit. Et voilà ses trois façons d’être excessive et démesurée.

Quant à l’esprit, — un esprit qui l’enfle et la boursoufle plutôt qu’il ne la remplit et ne l’anime, — c’est le vieil esprit du romantisme. Il se reconnaît premièrement au luxe même des moyens, à la profusion des engins sonores. D’autres signes le trahissent également. Rien n’est plus loin de l’idéal classique, — et proprement beethovenien, — non pas que le contraste, mais que la disparate entre les diverses parties de l’œuvre. Auprès de la première et de la cinquième

  1. Gustav Mahler et sa deuxième symphonie, par M. G. Casella ; Revue de la Société internationale de musique (15 avril 1910).