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en périodes librement balancées, qu’unissent des rapports choisis et d’harmonieuses proportions. Tantôt, la voix cessant de chanter, l’orchestre, qui chante aussi, lui répond ; tantôt l’un et l’autre se mêlent, puis se quittent, puis se reprennent encore.

Cette longue, très longue « canzone » est également très lente. Et nous lui savons gré d’être telle, en nos jours de fièvre universelle, où la musique même se hâte, où la mélodie est si pressée et si courte. Nous jouissons ici non seulement de la succession des notes, mais de chaque note en elle-même, parce que, avant de passer, elle s’arrête, elle s’attarde, elle dure ; parce que, loin de nous agiter, elle nous apaise, parce que, plutôt que de nous dérober le temps, elle nous le mesure et nous en fait goûter, dans un esprit de recueillement et de méditation, l’écoulement tranquille et doux.

L’œuvre de Mgr Perosi, je veux dire cette œuvre en particulier, n’a rien de plus pénétrant qu’un tel cantique. Mais les pages finales sont autres. Là se réunissent, là seulement, les deux principes dont nous parlions plus haut, principes qui se partagent l’idéal et la réalité, l’art aussi bien que l’âme, et que l’Évangile a personnifiés en deux figures de femme, celle de Marthe et celle de Marie. Cet épilogue est écrit pour double chœur et formé de trois morceaux : le premier animé, les deux autres paisibles. Le texte consiste en une suite d’invocations à Marie :


Tu spes certa miserorum !
Vera mater orphanorum !
Tu levamen oppressorum !


« Sûr espoir des malheureux ! Véritable mère des orphelins ! Réconfort des opprimés ! » La litanie est traitée en style de fugue-Fugue brève, sommaire plutôt que poussée, n’ayant en réalité pour sujet, pour amorce de sujet, que deux notes, mais qui sont pleines de caractère, d’expression et d’énergie. L’une des deux, brusquement, tombe sur l’autre ; c’est moins qu’un thème : un ictus, un coup, mais qui frappe juste et fort. Bientôt, et de plus en plus, il se multiplie, il se répercute. Les voix et les instrumens le portent, l’assènent tour à tour. « Tu spes ! Tu spes ! » A tous les degrés, avec tous les timbres, tantôt rapides, en valeurs brèves, tantôt en valeurs augmentées et qui les prolongent, les deux syllabes et les deux notes, également rudes, jaillissent et rejaillissent. Elles se répondent, se croisent et se heurtent. Il arrive même que, par un mouvement contraire, au lieu de descendre, elles montent, et la vigueur de leur élan n’est pas moindre alors que ne fut le poids de leur chute.