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femmes ne fait que transposer en style tragi-comique la prière d’Hoël, le héros meyerbeerien, à genoux près de Dinorah évanouie.

Enfin, s’il est vrai, comme on l’a dit, que le mélange ou l’amalgame d’une bouffonnerie débridée avec une sensibilité furtive soit, non pas la matière ou le fond, mais plutôt l’esprit et l’âme même de l’œuvre entier d’Offenbach, deux ou trois airs du rôle de Barbe-Bleue en rendraient à la fois le plus sentimental et le plus comique témoignage.

Et le livret de Meilhac et Halévy, non moins que la musique d’Offenbach, demeure la source d’une abondante et pure délectation. Popolani, l’alchimiste, serviteur des vengeances de Barbe-Bleue, mais serviteur pour rire, pour les déjouer et les défaire au lieu de les exécuter, Popolani dit quelque part de son maître : « Une justice à lui rendre, c’est qu’il prend tout ça gaiement. » Il est certain que M. Mæterlinck a pris « tout ça » d’une autre manière. Après la sienne, celle de Meilhac et Halévy fait du bien. D’abord elle est claire. Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit plate ou vide, qu’il n’y ait rien dedans ou dessous. Oh ! non. Autant le personnage de Barbe-Bleue (pour ne parler que du héros) est, dans le drame de M. Mæterlinck, inintelligible et même inexistant, autant Meilhac et Halévy l’ont animé d’une vie originale, à demi plaisante et sérieuse à demi. Écoutez-le se définir, s’analyser lui-même et se complaire au spectacle de son « moi. » Popolani lui demandant s’il ne rougit pas d’être l’homme qu’il est : « Non, je ne rougis pas et je t’avouerai même qu’il y a dans mon caractère quelque chose de poétique... Je n’aime pas une femme, j’aime toutes les femmes. C’est gentil, ça ! En m’attachant exclusivement à l’une d’elles, je croirais faire injure aux autres. Ajoute à cela des scrupules qui ne me permettent pas de croire qu’il soit permis de prendre une femme autrement qu’en légitime mariage. Tout te paraîtra clair dans ma conduite ; tu m’auras tout entier. »

Ainsi Barbe-Bleue nous est proposé comme une variante, inédite ma foi ! de don Juan : coureur d’aventures amoureuses, mais ne les courant que sur le droit chemin, débauché sans désordre, ou plutôt selon l’ordre légal et conjugal, six fois meurtrier plutôt qu’adultère une seule. N’avions-nous pas raison de trouver ici quelque chose de limpide et de profond en même temps ! Il n’y a pas jusqu’à l’héroïne de Meilhac et Halévy, la sympathique Boulotte, qui ne nous rende, si nous savons l’entendre, Ariane et ses compagnes un peu moins inconcevables. Lorsque Popolani parle à Boulotte, par lui rappelée à la vie, de ses cinq devancières à elle, qu’il a comme elle épargnées, et lui propose de la conduire, avec les autres, auprès du roi Bobèche afin