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elle une énigme du monde moral, que la poésie avait posée, est pour nous résolue.

Ainsi l’Ariane et Barbe-Bleue de M. Paul Dukas est premièrement une belle chose en soi. Mais l’œuvre a cet avantage aussi, de rappeler — par antithèse — un autre, ou une autre Barbe-Bleue, sans Ariane, et qui, dans le genre le plus différent, n’est pas une chose moins digne de mémoire. Il s’agit, vous l’avez deviné, du chef-d’œuvre bouffe de Meilhac, Halévy et Offenbach.

Dans la musique d’abord sont réunis les principaux traits dont se compose le génie ou l’idéal burlesque du musicien. Le premier, et non le moindre, est la mise en musique de situations, de « pensées, » de paroles, aussi peu musicales, ou « musicables « que possible. Le comique d’Offenbach résulte souvent de cette antithèse. Plus d’une scène de Barbe-Bleue en fournirait un exemple, soit agréable, soit éclatant. Ce serait, au premier acte, avant le tirage au sort de la rosière, et sur un « motif » délicieux, le couplet des concurrentes :


Ah ! prends mon nom,
Et mon prénom.
Joli greffier.
Gentil greffier,
Tremp’ ta plum’ dans ton encrier.


Au second acte, il faudrait citer l’entrée de Barbe-Bleue et de Boulotte, sa sixième femme, à la cour, avec l’allocution, ou l’algarade, si cordiale et si dépourvue d’étiquette, de Boulotte au roi Bobèche et à la reine Clémentine. Jamais le problème, éternellement débattu, de l’alliance entre les paroles et la musique, entre le verbe et le son, ne reçut, croyons-nous, plus réjouissante solution.

Un autre élément de la caricature musicale, telle que la pratiquait, — plus rarement d’ailleurs, — Offenbach, est le rappel, en des circonstances d’opérette, de passages d’opéra, plus ou moins travestis. Ainsi, dans l’interpellation de Boulotte au couple royal, il est aisé de reconnaître une parodie à la fois mélodique et rythmique du duo de Magali dans la Mireille de Gounod. La proclamation du sire de Barbe-Bleue, annonçant à ses vassaux, comme signe de l’ère nouvelle et des libertés futures, son mariage avec une bergère, est accompagnée par les mêmes fanfares de trompettes, à peu près, que la dernière harangue de Guillaume Tell, appelant à l’indépendance aussi les conjurés des trois cantons. Ailleurs, l’imitation est plus apparente encore, et la méditation de Barbe-Bleue devant le quintuple tombeau de ses