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premier acte, sur la cantilène des captives, Ariane et la nourrice posent ou jettent çà et là des répliques brèves, mais singulièrement expressives. Le dialogue lyrique de M. Dukas, dépourvu quelquefois de naturel, ne manque jamais de caractère ni d’intensité. C’est la déclamation qui donne à certaines scènes, véritablement grandioses, une partie au moins de leur grandeur. Des intonations étranges prennent alors un sens profond, une portée lointaine. La fin du premier acte, et celle du dernier plus encore, sont à cet égard des pages tout à fait supérieures et d’un style qui paraît, sous le régime (où nous vivons) de la polyphonie continue et du « tout à l’orchestre, » un style nouveau. J’entends bien que l’orchestre ici même intervient encore, tantôt pour alterner avec le récitatif et tantôt pour s’y unir. Mais toujours il le respecte, il le laisse en dehors, il le met en valeur. Favellar in musica, un canto che parla, disaient les Florentins, créateurs du drame lyrique. Ce principe verbal, qui régissait leur art primitif et simple, peut donc reparaître par momens au sein de notre art complexe et plus que trois fois séculaire, pour le clarifier et le rajeunir ! Et c’est encore une raison d’aimer l’œuvre de M. Dukas, que des élémens soi-disant incompatibles s’y rejoignent, dans une beauté commune, au-dessus de toutes les théories, de tous les systèmes et de tous les préjugés.

Il y a plus. On dirait qu’un rythme général ordonne l’œuvre entière, y distribue, ainsi que dans un édifice, les pleins et les vides, les lumières et les ombres comme dans un tableau. Partagés tous les trois, les trois actes d’Ariane et Barbe-Bleue ne se partagent pas de même. Le second seul est un crescendo ; les deux autres, suivant un mouvement inverse, décroissent et s’éteignent à la fin dans un demi-silence, encore plus émouvant peut-être que ne le fut précédemment tout leur éclat sonore. Ainsi, belle quand elle s’emporte, cette musique sait l’être quand elle se maîtrise et s’atténue. Puissante au paroxysme, elle ne l’est pas moins au repos.

Puissante, elle l’est à ce degré, que seule ici elle donne la vie. Le vrai poète, le poète unique d’Ariane et Barbe-Bleue, au sens profond du mot, celui qui « crée, » c’est le musicien. Le poème n’est que ténèbres. Mais la musique y répand sa clarté. Décidément, nous le disions dans notre dernière chronique, la musique surtout importe, existe. À elle appartient la beauté, la gloire, la puissance… et le contraire, tout le contraire, est également à elle. Elle ne fait ici que s’appuyer légèrement sur le drame, juste assez pour s’élancer plus haut, combien plus haut ! que lui. Partout et tout de suite elle le