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de pierres précieuses : améthystes, saphirs, perles, émeraudes, rubis et diamans. Le poème, ici, prêtait, comme on dit familièrement, beaucoup à la musique. Il en a reçu ou retiré davantage. La scène est deux fois admirable. En vraie symphonie, elle l’est premièrement par l’unité du thème qui la produit tout entière. Elle l’est aussi par la variété des formes sous lesquelles ce thème, identique et changeant, revient, se renouvelle et se multiplie. A la diversité des lignes, celle des mouvemens, celle des rythmes et celle des timbres s’ajoute. Assez robuste pour tout soutenir, le thème est assez riche pour fournir à tout. Il se prodigue et ne s’épuise pas. Au contraire, plus il donne de lui-même et plus on dirait qu’il s’accroît et se fortifie, qu’il s’élève et s’anime. Tour à tour allegro, scherzo, finale, il se précipite ici d’un seul jet, en coulée sonore et brûlante ; ailleurs, il se brise en éclats et rejaillit en gerbes. Et quand la symphonie est arrivée au paroxysme, alors elle appelle la voix à son secours et le chant d’Ariane enivrée, éblouie, allume sur le sommet la strophe ou la flamme suprême.

Car la voix ici n’est pas méprisée. Une simple cantilène, et de plus un unisson, répond à cette polyphonie et l’égale. Rarement les deux grandes forces de la musique se sont rencontrées et comme affrontées ainsi. Mais, loin de se contredire, elles se confirment l’une l’autre et leur équilibre ne fait pas le moindre mérite du premier acte d’Ariane et Barbe-Bleue. Il est, ce chant des captives invisibles, saisissant et tragique. Il a comme un air d’incantation, de complainte et de légende. Belle en est la mélodie, et le développement, la progression magnifique. Par degrés un peu raides, il monte, et plus il monte, plus il s’avive, plus il se fait âpre. Le thème, à certains momens, semble crier sous une note qui le blesse et le déchire. Si peu que l’orchestre l’accompagne, il y ajoute cependant quelques touches vigoureuses : un grondement rauque des altos, un contrepoint de grand style et qui procède par intervalles étranges, où de sinistres harmonies sont comme enfermées et semblent, elles aussi, gémir. Mais tout de même, en ce nouvel épisode, c’est le chant qui l’emporte ; comme la symphonie là-bas, la mélodie occupe ici le centre ou le sommet. Ainsi dans cette musique les puissances sonores trouvent l’une après l’autre leur représentation grandiose ; elles s’y exercent, elles y triomphent tour à tour.

La parole même y a sa place et le verbe quelquefois y commande. En mainte page d’Ariane et Barbe-Bleue, l’effet, la beauté de la déclamation n’est pas inférieure à celle du chant ou de l’orchestre. Au