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VI

Le récit de Mlle Forestier, d’une si émouvante simplicité, comporte une part d’erreur quant aux mobiles qui dirigèrent Ingres. Il n’était occupé, en 1807, d’aucune autre femme que Julie. Il n’avait alors qu’une seule ambition : celle de réaliser quelque jour un chef-d’œuvre et, par là, de confondre ses rivaux. Qu’il soit resté, après la rupture, pendant plusieurs années sans remplir son cœur, voilà une affirmation que n’oserait énoncer aucun de ceux qui, ayant étudié l’œuvre d’Ingres, ont su y saisir son amour de la femme. Mais, de 1807 à 1813, s’il pensa à se marier, ce ne fut pas tout de suite avec Madeleine Chapelle, sa première femme, celle-là même à qui fait allusion Emma ou la Fiancée.

En 1812, Ingres était occupé d’une belle personne de vingt-huit ans, Mlle Laure Zoëga. Depuis combien de temps cela durait-il ? On nous a raconté qu’Ingres avait connu Mlle Zoëga, au temps où il était pensionnaire à la Villa Médicis. En 1812, il avait déjà quitté l’Académie depuis deux ans, le Ministre s’étant refusé à lui accorder la prolongation qu’il avait sollicitée. Le père de Laure, le célèbre antiquaire Zoëga, fréquentait chez Suvée, comme son collaborateur Piroli[1]. Il fut en rapports cordiaux avec l’architecte Paris, directeur intérimaire de l’Académie de France, en 1807, et il garda les mêmes relations avec Guilhon-Lethière qui succéda à Paris. Rien d’étonnant donc dans la rencontre d’Ingres avec Mlle Laure Zoëga. Ils se connurent et ils s’aimèrent ou, du moins, ils se le dirent, comme autrefois Ingrou et Julie. Ingres voulut épouser Laure Zoëga. De cela nous avons la preuve. Et la voici :


« Moi, soussigné, Jean-Auguste-Dominique Ingres, peintre Français, domicilié à Rome, natif de Montauban, département du Tarn-et-Garonne, âgé de trente-deux ans et... mois, fils de Joseph-Marie Ingres et d’Anne Moulet son épouse, voulant contracter mariage avec la demoiselle Laura Zoëga, née à... domiciliée à Rome, âgée de vingt-huit ans, fille de George

  1. Piroli et Zoëga publièrent, en 1808, deux volumes d’après les bas-reliefs de la Villa et du Palais Albani. (Voyez Vitet, Bibliographie des Beaux-Arts, n° 1509, page 184.)