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Tandis que tous ces événemens se passaient, Auguste, par suite de l’instabilité de ses idées, avait quitté le lieu dans lequel il voulait auparavant fixer à jamais sa résidence[1]. Devenu de plus en plus indécis, soupçonneux, irascible, haineux même, il n’offrait à ceux qui vivaient près de lui qu’un visage soucieux, un langage brusque, souvent le découragement et l’ennui. Cependant, de retour à Paris, cette métropole de toutes les connaissances humaines, les espérances que M. D... avait conçues commencèrent à se réaliser ; le mérite personnel de M. d’E... fut apprécié à sa juste valeur. Des avantages pécuniaires, de satisfaisantes distinctions ne furent que le prélude des honneurs qui ne tardèrent pas à l’accabler. Pourtant, au milieu du tourbillon des travaux, de l’enivrement des louanges, une pensée venait sans cesse le troubler. Il respirait le même air qu’Emma ; chaque instant pouvait l’offrir à ses regards, et cette gloire qu’il avait dit si longtemps ne souhaiter que pour la déposer à ses pieds, il en faisait hommage à une autre. Cette gloire ne devait plus qu’insulter à la douleur, à l’isolement de celle dont le père en avait été la première cause. Ces réflexions assombrissaient encore son humeur et quelquefois ceux que l’entouraient avaient à en souffrir. « Je ne vous rends point heureux, leur disait-il, je le sens, et je ne suis point heureux moi-même. » Un jour, se trouvant avec des personnes qui avaient connu M. et Mme Darmençay : « Qu’est devenue, demanda-t-il avec quelque embarras, cette respectable famille qui m’a fait tant de bien ? » Quels ne durent pas être ses remords lorsque, par la réponse qu’il reçut, il apprit tous les malheurs résultés de son ingratitude !

Laissons Auguste en proie à la juste punition que le ciel lui avait réservée et retournons près d’Emma qui, exempte de tout reproche, supportait avec autant de sérénité que de douceur les épreuves que Dieu n’épargne point à ceux qu’il aime le plus.

Les années s’écoulaient, et la jeune abandonnée commençait à reconnaître la vérité de ce que lui avait dit sa vertueuse mère, « que Dieu ne permettait pas que la douleur conservât longtemps le même degré de vivacité. » En effet, les bonnes œuvres, l’amitié, la variété de ses occupations, n’effaçaient

  1. Il quitta Rome en 1820 pour Florence. Il s’installa à Paris, en 1824, en plein triomphe.