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De ce moment, Mme Fernot se voyant maîtresse du faible caractère qu’elle avait soumis, écrivit à sa sœur[1] de partir sans délai, afin de profiter le plus tôt possible d’une disposition d’esprit qui pouvait changer d’un instant à l’autre[2].

Cependant Emma, ignorant toutes les intrigues dont Auguste était entouré, conservait encore quelque espérance. Dans sa désolante lettre, il n’avait point parlé de la médaille qu’il lui avait laissée comme gage de la foi promise, ni de la bague qu’elle lui avait donnée en retour. Elle la gardait, cette médaille, elle la portait sans cesse sur son cœur, car, l’ayant fait enchâsser dans un médaillon, elle ne s’en séparait ni jour ni nuit. Elle comptait encore, la pauvre jeune fille, sur ce fonds de tendresse qu’elle croyait, non peut-être sans quelque raison, ne pouvoir s’effacer du cœur d’Auguste, mais dont, hélas ! elle ne devait plus ressentir les doux effets. Tandis qu’elle s’abusait ainsi, la sœur de Mme Fernot se rendait en toute hâte à ses injonctions. Dès lors Auguste, plus obsédé que jamais par ces deux adroites créatures, n’eut plus un seul moment de répit ; ses idées achevèrent de s’obscurcir, ses remords s’éteignirent et l’on profita de ce moment d’oubli de lui-même pour lui faire consommer son parjure.

Les premiers temps de délire passés, Auguste se souvint du gage resté entre les mains d’Emma. Jugeant bien que cet objet accusateur ne pouvait rester entre les mains de celle qu’il avait si cruellement trahie, n’osant le redemander lui-même à la famille Darmençay, il chargea l’un de ses meilleurs amis de cette pénible démarche. Celui-ci, plein de délicatesse, honteux d’une semblable mission, mais ne voulant la céder à personne par égard pour une famille qu’il respectait et par une sorte de pudeur pour son coupable ami ; celui-ci, dis-je, se rendit chez M. Darmençay qu’il trouva malade et auquel on cacha le vrai motif de sa visite. Mme Darmençay ordonna sur-le-champ à sa fille de remettre ce qu’on lui redemandait. L’obéissante Emma se disposait à tirer de son sein le précieux médaillon, lorsqu’on la vit tout à coup pâlir, chanceler et perdre, avec sa connaissance, le sentiment de cette nouvelle peine. La tendre mère l’ayant retenue dans ses

  1. A Madeleine Chapelle, sa cousine.
  2. Toute cette histoire romanesque est à peu près exacte. Mais elle ne se place pas à l’année 1807. Elle n’a rien à voir avec la brouille Ingres-Forestier : elle lui est postérieure de six années. Voyez, plus loin, notre dernier chapitre.