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correspondre avec ceux dont il regrettait sincèrement d’être éloigné. Cependant peu à peu les objets présens vinrent le distraire de ces chagrins ; il fit quelques connaissances parmi des jeunes gens de bon âge, il en rencontra d’autres avec lesquels il s’était rencontré à Paris et tous s’unissaient pour le plaisanter sur sa constance : « Une de perdue, lui disaient-ils, mille retrouvées, » et ces propos continuellement répétés autour de lui commencèrent à faire impression sur cet esprit naturellement versatile. Enfin ces prétendus amis l’entraînèrent dans une maison honnête sans doute, mais peu en harmonie avec le genre de société qu’il avait fréquenté jusqu’alors. La maîtresse de la maison était du même pays. Ce fut un attrait pour Auguste. Lorsqu’on retrouve loin de son pays ou seulement d’un lieu que l’on a longtemps habité, une personne de ce lieu ou pays, il se forme aisément une sorte d’intimité dont on ne saurait s’étonner ; c’est ce qui arriva entre Auguste et Mme Fernot[1]. Celui-ci commença par la trouver belle, ce qui n’était pas absolument vrai. Mme Fernot n’était qu’ordinaire, mais la disposition enthousiaste d’Auguste la fit trouver bien au-dessus de la pauvre Emma dont les traits, en effet, n’avaient d’autre avantage qu’une expression habituelle de gaieté, de douceur et de raison.

Quoique charmé du visage de Mme Fernot, Auguste n’était pas capable de concevoir pour elle un sentiment illicite. Son cœur était vertueux, et ses fautes ne venaient jamais que de sa tête à la fois vive et faible ; il s’était donc engoué, voilà tout. ]vIme Feruot qui, malgré son peu d’éducation, ne manquait pas d’une certaine finesse, se souvint qu’elle avait laissé dans son pays une sœur pour laquelle Auguste lui semblait pouvoir être un parti tout à fait inespéré. Mme Fernot donc, sans perdre de temps, mais sans affectation, parla de sa sœur, insinua quelque chose de l’extrême ressemblance qui se trouvait entre elles, puis n’en dit plus rien. Quelque temps après, sous le prétexte d’une lettre qu’elle disait en avoir reçue, elle en parla plus au long. C’est alors qu’Auguste, adroitement subjugué par cette femme, commença à devenir inexact dans sa correspondance avec la famille Darmençay ; alors vinrent ses hésitations, puis ses désirs de retard, puis enfin cette horrible lettre qui, comme la foudre, vint écraser la bonne et malheureuse Emma.

  1. En réalité, Mme de Lauréal.