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air attendri, puis la serra sur son cœur : « Je ne puis nier, ma chère enfant, que tu n’aies pendant quelque temps à souffrir de vifs chagrins ; mais, mon enfant, grâce au ciel, il n’est point d’éternelles douleurs. Dieu sait que nous ne les supporterions pas. Ainsi que l’air qui, s’interposant entre notre œil et les couleurs, affaiblit l’éclat de celles-ci, de même le temps, s’interposant entre nous et nos peines, en calme la violence, et, mon Emma, crois-en ta mère, il vient un moment où le souvenir de nos chagrins, non seulement perd la plus grande partie de son amertume, mais encore acquiert une sorte de douceur ; la conscience d’avoir supporté avec quelque courage les épreuves qui nous ont été envoyées et de s’être rendu probablement agréable à Dieu en se soumettant à ses volontés sans murmure répand dans l’âme une sérénité que rien n’efface plus ! »

Par ces tendres et pieux discours, Mme Darmençay cherchait à charmer la juste douleur d’Emma et commençait à y réussir lorsqu’une lettre de M. d’Egreville père vint encore rouvrir les blessures du cœur de cette dernière. Inquiet de son fils, dont il ne recevait pas de nouvelles, il s’adressait à la famille Darmençay pour connaître la cause d’un silence dont il ne pouvait imaginer le véritable motif, car Auguste, honteux de sa propre conduite, n’avait pu prendre encore sur lui d’en instruire son père. Il exprimait à Emma le vif désir et l’espérance de la nommer bientôt sa chère fille, et la remerciait dans les termes les plus affectueux de l’envoi qu’elle lui avait fait, peu de temps avant, du portrait d’Auguste peint par elle-même. M. Darmençay lui fit dans sa réponse la relation exacte de tout ce qui s’était passé. Ces dames ne répondirent point, M. D... s’étant chargé de dire pour elles tout ce qui convenait, et le vide se refît autour de la digne famille d’une manière encore plus sensible qu’auparavant.

Pendant ce temps, Auguste, bourrelé de remords, ne connaissait plus guère de repos, cherchait à s’étourdir sur sa situation. Ce serait peut-être ici le lieu de remonter à la cause la plus directe de son changement. Lorsque le jeune d’Egreville avait quitté la famille Darmençay, sa douleur avait été vraie, vive et même aussi profonde que son caractère avait pu le comporter, ce caractère ayant malheureusement, ainsi qu’il a déjà été dit, quelque chose de chancelant, d’indécis, et cette faiblesse qui n’accompagne que trop souvent la vivacité de l’imagination : obligé par devoir de s’occuper fortement, il consacrait ses rares momens de loisir à